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courant d’émigration propre à leur race, ils forment déjà une petite colonie qui a des établissemens et un hospice. L’action protestante est à peu près nulle sur les indigènes : cette compréhension septentrionale du christianisme trouve la nature orientale absolument rebelle. En dehors de quelques convertis juifs, les sectes réformées ne vivent ici que de l’apport étranger. Leur développement matériel progresse pourtant chaque jour. Il faut rendre cette justice au protestantisme que, fidèle jusqu’ici à son principe, il s’est désintéressé de toute intrigue politique ; peu soucieux de la possession de fait, dont les anciennes communions sont si jalouses et à laquelle il ne pourrait d’ailleurs produire aucun titre, il ne demande aux lieux saints que le droit commun à la prière, et ne se distingue que par d’importantes recherches scientifiques, des fouilles heureuses et des travaux d’exégèse.

Vis-à-vis de toutes ces branches de la famille chrétienne, comme Ismaël contre ses frères, la tribu juive, haineuse et fermée, végète dans sa misère malgré quelques établissemens dus à la munificence de ses riches coreligionnaires d’Europe. Puis-je redire, sans me répéter, sa foi implacable, son espérance obstinée et vaine, le mystère de son culte, de son existence et de son abaissement ? Ignorés et méprisés malgré leur nombre, parqués dans un quartier étouffé et dans des synagogues borgnes, chassés de tous les lieux consacrés par la Bible, l’Evangile ou le Coran, les fils d’Israël nourrissent plus que tous autres des prétentions d’avenir et la persuasion d’une renaissance nationale. Ils arrivent de tous les coins de l’Europe, étranges comme j’ai essayé de les dépeindre, avec la régularité instinctive des oiseaux émigrans, ajouter des tombes à celles de leurs aïeux. Un chiffre donnera une idée de leur importance numérique, si peu en rapport avec leur importance religieuse et politique, qui est nulle : sur toute la population de Jérusalem, qui se monte à 26,000 âmes environ, les Juifs comptent pour plus de moitié, 14,000 âmes. — Le reste se décompose comme il suit : chrétiens 7 ou 8,000, musulmans 4 ou 5,000. La plupart de ces derniers sont des Bédouins du désert ou des citadins arabes ; le surplus est fourni par les Turcs, fonctionnaires et soldats.

Ces derniers planent tranquillement au-dessus des autres groupes, tenant, eux aussi, Jérusalem pour une ville sainte, vénérant le prophète dans le Haram, appelant les croyans à la prière du haut des clochers transformés en minarets, surveillant les chrétiens dans les sanctuaires qu’ils leur accordent, interposant entre eux leur autorité incontestée : élément pondérateur et nécessaire, clé de voûte qui retient cet assemblage de matériaux hétérogènes et l’empêche de s’effondrer dans l’anarchie et le sang. Tels sont les principaux acteurs qui se disputent cette étroite scène. Je ne puis entrer dans le