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contente d’un ordre ; l’un a eu des visions, un second a son plan tout fait pour le remaniement de la carte d’Orient ; un troisième est poursuivi par les embûches des adversaires religieux et politiques que ses fonctions l’ont forcé de combattre durant de longues années ; d’autres reconstituent des principautés avitales tombées en déshérence. On n’en finirait pas à énumérer toutes les manifestations de cette influence du milieu. Les plus excellens esprits y sacrifient par quelque côté : un consul d’une grande puissance, homme charmant et de. valeur singulière, a bâti de ses deniers un hospice qui doit être la maison-mère d’un nouvel ordre d’hospitaliers, destiné à soigner les pèlerins malades, divisé en langues et en bannières ; il insiste auprès de nous pour que nous propagions l’idée et lui procurions des recrues prêtes à faire les vœux mineurs, à ressusciter le Temple, dont il sera grand-maître. Voilà la note. Le passé est tellement vivant, seul vivant ici, que rien de ce qu’il a produit ne paraît impossible à réaliser à ceux dont l’existence s’écoule en communion avec lui. Combien de bons moines se consolent de leurs déboires en attendant la prochaine croisade !

On comprend, sans que j’insiste davantage, que la seule impression générale, la seule étude fructueuse est celle de l’ordre d’idées exclusif qui engendre ces phénomènes. Si la loi du voyageur moderne est de mettre en lumière le relief particulier de ce qu’il étudie, quiconque veut parler de Jérusalem doit s’attacher au mouvement religieux, qui entraîne d’ailleurs de graves effets politiques. Pour analyser ce mouvement, si complexe et si divisé, il faut faire le départ des principales forces en présence. Les « Latins, » comme on dit ici, c’est-à-dire les catholiques relevant directement de Rome, se présentent d’abord avec l’autorité que leur donnent l’ancienne possession des lieux et le souvenir des flots de sang versés pour la défense de la Palestine. Numériquement ils seraient parmi les plus faibles : un noyau d’indigènes, le mouvement fort peu considérable du pèlerinage européen, les catholiques de rite oriental, Maronites ou Syriens, qui viennent se grouper autour d’eux, tout cela ne constitue pas une église bien considérable. Leur force est dans l’ordre de Saint-François, gardien attitré de la terre-sainte, qu’il couvre de ses couvens depuis de longs siècles ; il faut reconnaître impartialement que les frères mineurs sont bien supérieurs en moralité et en lumières aux moines grecs, bien autrement respectés des fonctionnaires musulmans. Elle est encore dans le patriarcat, dirigé par des prélats italiens qui allient à une vie irréprochable le sens politique et les ressources d’esprit que l’on sait, dans le prestige de la grande église catholique, dans la possession de sanctuaires incontestés autrefois, envahis depuis un siècle par les empiétemens des Grecs, mais dont les plus augustes appartiennent