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gesticulant avec les marchands de chapelets, de cierges et de pâtisseries. Les femmes sont en nombre : on sait qu’elles ont conservé un costume particulier au village de Bethléem, et qui doit être à très peu de chose près le vêtement antique. Il se compose d’une chemise de laine rouge et bleue ouverte sur la poitrine, d’une espèce de cotte de même étoffe, et d’un long voile blanc à paremens brodés gracieusement soutenu par un bonnet à haute forme qui n’est autre que l’ancienne mitre des femmes orientales. Ce bonnet, tressé de laine, de grains de corail, de cercles de cuivre et de pièces de monnaie, est, avec leur collier, une véritable boutique de changeur. Le grand luxe est d’y réunir des centaines de pièces de tout temps et de toute provenance, vieux trésor de la famille : talaris, sequins, piastres, florins, ducats, quelques-uns demeurés là peut-être depuis les Vénitiens et les Génois, sans préjudice des médailles, des breloques, des chaînettes, des bijoux de toute forme, des anneaux soudés aux oreilles, aux coudes, aux poignets, aux chevilles. Toutes bruissantes de cette orfèvrerie, les belles Bethléémitaines s’avancent drapées dans leurs voiles avec une grâce et une noblesse incomparables ; une existence simple et primitive a conservé aux races orientales ce galbe antique, pur et serein, que nous ont fait perdre l’incessant travail de pensée, l’intensité nerveuse et l’activité inquiète de la vie moderne. Au milieu de tout ce va-et-vient, les soldats turcs, graves et silencieux, se chauffent en rond autour de feux allumés dans les bas côtés de la nef, près de leurs fusils dressés en faisceaux contre les colonnes byzantines. À ce bivouac improvisé, les uns font la cuisine, d’autres fument leurs tchibouqs ; les flammes tirent des notes éclatantes de tous ces tarbouchs et montent en spirales réveiller les saints personnages des mosaïques ; leurs prestiges rendent une vie fantastique aux sévères docteurs des conciles d’Éphèse et de Nicée, qui semblent se mouvoir sur l’or des murailles et regardent avec scandale, de leurs mornes yeux d’émail, ces armes, ces feux, cette foule ; ils ont dû de leur vivant contempler les mêmes scènes, quand le sac de la basilique par les soldats persans de Khosroës vint interrompre leurs subtiles controverses.

Cependant le peuple se précipite dans la grotte de la Nativité, qui s’étend sous le chœur de l’église ; on y descend par deux escaliers semi-circulaires, dont l’un appartient aux Grecs, l’autre aux Latins. C’est un carré long de 10 à 12 mètres sur 5 : le rocher a partout disparu sous les revêtemens de marbre, les tapisseries, les lampes de vermeil, tout le pieux trésor dont la chrétienté a enrichi depuis de longs siècles le sanctuaire vénéré ; une des lampes, toujours allumées, qui pendent de la voûte a été donnée par le roi