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mais ils ne connaissent pas nos révoltes, nos doutes. Ils n’ont pas encore toutes nos sciences, nos arts, nos lettres ; mais ils possèdent les trois grandes sciences que nous avons désapprises, la foi, le sacrifice et le respect.


25 décembre.

Noël ! Noël ! C’est à Bethléem qu’il faut aller cette nuit célébrer la joyeuse naissance, c’est à Bethléem que court toute cette foule, revêtue de ses habits de fête, qui s’engouffre sous la porte de Jaffa, à Bethléem que vont ce soir le peuple, les rois et les étoiles. Sur celles-ci pourtant il ne faut pas trop compter. Un ouragan furieux s’est déchaîné cette nuit avec la violence qui appartient aux rares perturbations atmosphériques de ces climats : je ne peux partir que vers le matin, fouetté par des trombes diluviennes, cherchant vainement la route dans la campagne transformée en étang et noire comme une gueule de four ; mon cheval butte jusqu’au poitrail dans les flaques d’eau, et je ne suis guidé dans les ténèbres que par le tintement lointain des cloches de Bethléem, qui carillonnent la bonne nouvelle et le réconfort.

Malgré ces difficultés, une foule effervescente et pittoresque remplit le couvent latin, la basilique et la grotte. On devine quelle affluence une nuit de Noël attire à Bethléem. Il est vraiment providentiel que les Grecs aient conservé l’ancien calendrier ; si les solennités chrétiennes tombaient aux mêmes dates pour toutes ces communions ennemies dans ces sanctuaires contestés, les lieux saints ne seraient qu’un perpétuel champ de bataille. Le pacha a envoyé un bataillon pour sauvegarder l’ordre, non moins que pour faire honneur à la fête ; il n’est pas rare de voir en Turquie les soldats musulmans rehausser de leur présence la pompe des cérémonies chrétiennes, faire cortège aux processions et présenter les armes au dieu étranger. La troupe bivouaque dans les nefs condamnées de la basilique, devenues, depuis que les Grecs les ont séparées du chœur par un mur de clôture, un vestibule banal. Si le tableau est triste pour l’archéologue et le chrétien, il est sans prix pour le peintre. Des chevaux attachés à la porte, qui font sonner leurs larges étriers de fer et leurs housses toutes frissonnantes d’amulettes de métal, descendent des cavaliers arabes en grand costume, pantalons bouffans, vestes brodées d’or et soutachées de couleurs vives, ceintures de soie rouge laissant passer les crosses damasquinées des pistolets et les manches des poignards, abayes de laine brune traînant à terre comme des chapes, kouffiehs multicolores ou turbans blancs enroulés autour de la tête. Tout ce monde emplit la basilique et se groupe à souhait dans les entre-colonnemens, disputant et