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expansion irrésistible et forte à briser des roches, comme un frémissement sourd de moissons qui mûrissent.

Des impressions d’un caractère plus profond encore nous attendaient dans la basilique. On connaît la disposition générale des églises russes en forme de croix grecque surmontée de cinq dômes bulbeux. Celle-ci ne s’en écarte pas. L’intérieur est décoré avec une richesse sobre et délicate à laquelle les édifices consacrés au culte orthodoxe ne nous ont guère habitués.

Sur les panneaux de l’iconostase se déroule la galerie habituelle des panagia et des saints dans leurs fonds d’or. J’étais surtout curieux de voir là comment l’art religieux russe a modifié la vieille tradition byzantine, si immobile chez les Grecs, si familière à tous ceux qui ont habité l’Orient. L’épreuve est toute en sa faveur. Cette école, à peine née d’hier, si je suis bien informé, donne déjà des résultats surprenans et nous promet peut-être une rénovation de la peinture religieuse. Elle a su avec un discernement parfait garder toutes les qualités des vieux maîtres du mont Athos et des couvens grecs, la naïveté, la douceur1, l’éclat, l’expression fervente ; elle en a rejeté impitoyablement la gaucherie, la raideur, les incorrections de dessin, les poses conventionnelles ; c’est d’un archaïsme bien autrement vrai, bien autrement jeune et religieux que celui de l’école allemande d’Overbeck. L’œil fait à l’immobilité hiératique des types byzantins est tout surpris de voir des saints orthodoxes vivre et se mouvoir dans leur ciel d’or ; on applaudit sincèrement à ce jeune art barbare déjà si savant et si ingénieux. Il y a là telle tête de Christ qui est sur la route des nobles et antiques figures que Flandrin a laissées à Saint-Vincent-de-Paul et à Saint-Germain-des-Prés.

Mais ce ne sont pas ces détails qui m’ont tout d’abord frappé ; en entrant, je l’avoue, le spectacle que j’avais sous les yeux ne m’a guère laissé la faculté d’observer. C’était la vigile de je ne sais quelle fête orthodoxe, et l’on disait les vêpres du saint. Dans le chœur, une petite table portait un cadre de reliques ; ces vieux restes étaient couverts d’une grande couronne de roses naturelles, suivant une touchante coutume de l’église russe. Un peu plus bas, un évêque assisté de trois diacres lisait le rituel posé sur un pupitre. Les quatre officians étaient revêtus d’ornemens splendides, de lourdes chapes d’or reluisantes d’émaux et de gemmes qui faisaient paraître plus singulière encore leur coiffure de deuil, ce long voile noir retombant tout autour de la tête appelé kalimafkon. L’évêque était jeune : sa barbe et ses cheveux blonds encadraient un de ces types slaves si séduisans, rêveurs et mystiques, où il y a de la femme et du barbare ; quand il disait son chant grave, sa voix