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Le consul, logé dans une élégante villa qui fait partie du groupe des bâtimens, nous reçoit avec affabilité et nous montre en détail, avec une satisfaction bien compréhensible, l’œuvre due à la charité et à la sagacité de ses compatriotes. Un hôpital de soixante lits, largement et confortablement installé, une pharmacie, un hospice, au vieux sens du mot, maison disposée pour des pèlerins pauvres, avec des chambres proprettes destinées aux voyageurs plus aisés, une chapelle intérieure, une grande et belle église, des dépendances nombreuses, rien ne manque à la petite cité moscovite. Médecins, pharmaciens, infirmiers, dames hospitalières, attendent les malades et les indigens. Je ne puis m’appesantir sur les mille petits détails qui révèlent une main généreuse autant que prévoyante ; ce qu’il faudrait faire comprendre pour restituer aux moindres choses toute leur valeur et leur suprême intérêt, c’est l’impression irrésistible de puissance, de richesse, de persévérance et de vitalité qui se dégage de tout cela. On dit que la Russie a déjà enfoui, je me trompe, semé 4 millions dans ce champ, qui ne restera pas improductif ; comparez cette somme aux quelques misérables milliers de francs que les autres puissances envoient à leurs coreligionnaires, et déduisez-en la force de l’action exercée de part et d’autre !

Tout ceci n’est rien encore, ce n’est que le cadre ; mais, si l’on observe les singuliers hôtes attendus dans cette demeure, le fleuve dont nous venons de parcourir le lit, on s’étonne, j’allais dire on s’effraie, de bien autre façon. C’est à Pâques, au grand moment du pèlerinage, qu’il en faudrait faire une étude complète ; cependant le mouvement plus restreint que détermine la fête de Noël nous permet d’en saisir la curieuse physionomie. Rien ne peut faire comprendre à notre société si déshabituée de pareilles impulsions le courant de dévotion ardente qui jette chaque année 3,000 ou 4,000 pèlerins russes sur les lieux saints. Pour s’expliquer cette croisade pacifique, il faut remonter à nos siècles de foi absolue, aux pionniers de l’Europe catholique en Orient, à ces compagnons de Pierre l’Ermite, ces précurseurs des croisés, qui arrivaient à pied, le bourdon à la main, du fond des Flandres ou de la Bretagne à Jérusalem. De même rien mieux que ce spectacle ne peut nous aider à restituer ces époques historiques. Sous plus d’un rapport, ce peuple russe en est encore au même âge que nos pères du XIe siècle, au même degré de ferveur et de naïveté puissantes. Aidé par un gouvernement soucieux d’utiliser un pareil levier, il s’ébranle périodiquement au fond de ses steppes comme une migration d’oiseaux du nord. Le paysan de la Petite-Russie, le mougik de Moscou, le serf de Sibérie, le Xircassien des provinces chrétiennes du Caucase, le Bulgare du Danube, les marchands de Nijni ou d’Arkhangel, se réunissent à Odessa, où des paquebots les prennent gratuitement et