Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en ôtant des deux mains son turban pyramidal. Au demeurant c’est le meilleur homme du monde et le dernier débris, intéressant pour l’archéologue, de tout un passé pittoresque, politique et administratif déjà lointain, du Levant tel que l’ont connu et décrit nos pères. Aujourd’hui le chapeau et l’habit noir ont remplacé le turban et le caftan chez tout ce qui représente de près ou de loin la grande machine européenne ; le bureaucrate s’est substitué au patriarche dans le sélamlik transformé en comptoir, le papier timbré de l’huissier a fait regretter aux pauvres diables le courbache du janissaire : la bonne gestion des aifaires et le prestige occidental ont-ils gagné ce que la couleur locale a perdu à cette métamorphose ? Je laisse à de plus compétens le soin d’établir la balance.


20 décembre.

Nous avons consacré ces derniers jours à l’étude du Haram-ech-Chérif, le « sanctuaire auguste, » l’enceinte qui a contenu le temple de Jéhovah et qui rassemble aujourd’hui les monumens musulmans ; le principal d’entre eux, la mosquée d’Omar, est le chef-d’œuvre le plus accompli de l’art arabe. On pénètre dans le Haram par la porte occidentale dite Bab-el-Moghreby, la porte des Maugrabins. Sous la voûte et devant la fontaine, décorées avec la fantaisie exquise du goût moresque, veillaient encore il y a dix ans des noirs féroces, le sabre au poing, prêts à faire tomber la tête du giaour qui eût osé franchir le seuil sacré sans un firman rarement obtenu. Aujourd’hui les nègres ont disparu, les imans gardiens du sanctuaire se sont apprivoisés devant l’affluence croissante des Européens et l’éloquence irrésistible des bakchichs qui pleuvent de leurs mains. Cette porte franchie, on se trouve dans le Haram, cité sainte dans la cité commune dont elle occupe presqu’un quart en superficie. C’est le sommet du mont Moriah, aplani au nord par des nivellemens, prolongé au sud par des remblais ; les travaux gigantesques des rois de Juda en ont fait une plate-forme d’environ 500 mètres de long sur 300 de large. Ce quadrilatère est renfermé dans une enceinte de murailles antiques, continuée au sud et à l’est par le mur même de la ville et se rattachant au nord à la tour Antonia, la vieille citadelle romaine. Au milieu de cette esplanade, une seconde plate-forme entièrement dallée en marbre supporte la mosquée du calife Omar, qui occupe l’emplacement précis du temple d’Israël, et se détache avec une majesté incomparable sur ce piédestal, visible de tous les points de l’horizon de Jérusalem. Au sud du monument, la mosquée El-Aksa, l’ancienne basilique de Justinien, s’appuie au mur d’enceinte. Des restes de portes antiques, aujourd’hui murées, sont encastrés sur divers points ; une foule d’édicules auxquels se rattachent mille