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destitution, son rappel et son remplacement provisoire par l’évêque de Gaza. Un drogman du pacha est venu chercher le vieux pontife au couvent et lui a intimé l’ordre de le suivre. La nouvelle s’est répandue avec la rapidité de la foudre dans le quartier chrétien, qui a pris la physionomie des jours d’émeute. Les cloches sonnent le tocsin à toutes volées ; adversaires et partisans du prélat frappé emplissent les rues de leurs cris de joie ou de leurs imprécations. Des patrouilles de soldats turcs parcourent la ville, bivouaquent les armes en faisceaux dans la rue du Saint-Sépulcre et du patriarcat, dispersent les groupes, font fermer les boutiques et menacent les séditieux de leurs baïonnettes. Il ne tient qu’à moi de me croire surpris par une de nos émeutes parisiennes sur nos boulevards militairement occupés ; mais ici ce ne sont pas des griefs politiques qui poussent le peuple dans la rue : les passions religieuses sont seules assez violentes pour faire oublier au raïa la terreur qu’il a de son maître. C’est bien plutôt dans une de nos villes du XVIe siècle, dans Privas ou La Rochelle un jour de sédition huguenote, que je me crois reporté. Ces ruelles tortueuses, ces vieilles maisons ramassées à l’ombre des églises et des cloîtres, ces prêtres conduisant ou retenant la foule, ces cloches sacrilèges soufflant la colère, ces figures et ces costumes d’un autre temps, tout ici est le commentaire vivant d’un épisode de nos guerres de religion.

Quant aux causes qui ont amené cette effervescence, elles appelleraient une longue et intéressante étude qui sortirait malheureusement du cadre de ces souvenirs. Cet incident n’est pas isolé et se rattache à tout un ensemble de faits d’une haute portée religieuse en attendant qu’elle devienne politique. Le monde chrétien d’Orient, comme celui d’Occident, entre dans une phase particulariste très marquée, où les églises d’une même communion, mais de provinces et de nationalités différentes, tendent de plus en plus à accuser leur individualité, à se détacher du faisceau commun, et à répudier l’autorité centrale pour vivre de leur vie propre. Pour mesurer la force et la ténacité de ce mouvement, il faut savoir qu’au lieu d’être, comme chez nous, la subordonnée de l’état politique, l’église est en Orient la seule représentation actuelle, le seul vêtement avouable, pour ainsi dire, des nationalités soumises, le seul lien officiel qui rattache et perpétue, pour des races géographiquement et politiquement disparues, l’ensemble des traditions et des espérances patriotiques. Il suit de là que le travail latent de ces nationalités et leurs aspirations, qui ne sont un mystère pour personne, doivent avoir leur expression première dans les choses religieuses. C’est ce qui arrive aujourd’hui. Le vieil édifice de l’église grecque orthodoxe, pour ne parler que de celui-là, est profondément ébranlé. Au nord, les Bulgares l’ont délibérément quitté, et ont consommé