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monts d’Arabie, l’or rose des collines prochaines d’Engaddi et de Jéricho, l’opale du ciel, les ténèbres descendant dans les gorges, les nuances fluides et douteuses des brumes qui montent de l’eau morte, luisante et lourde comme un miroir de plomb ? Et quand on aurait fixé ces insaisissables splendeurs, qui en dirait le silence, l’immobilité, la majesté souveraine et désolée ?

Ce matin, le soleil était voilé, le ciel aqueux, un brouillard léger estompait les lignes comme les vagues apparences d’un rêve, comme un mirage sur la mer où dorment les villes ensevelies. Laissant errer mes regards sur les tableaux dont ma langue rebelle n’a pu rendre les éblouissemens, dont mon seul souvenir sait la grâce, j’écoutais les harmonies qui s’emparent de toute l’âme à ces heures recueillies ; je pensais qu’elle aussi est une mer calme et limpide en apparence, au fond de laquelle dorment ces royaumes engloutis, les illusions, les espérances, les douleurs de la vie passée ; la musique est le vent qui la remue et fait remonter à la surface tout ce triste limon. Sans doute, lorsqu’ici même, dans ce jardin de Gethsémani, le Christ voulut porter en une heure suprême tout le poids des douleurs humaines, il dut, pour les sentir plus cuisantes et plus infinies, entendre les cantiques célestes que les anges chantaient à Bethléem la nuit où il naquit.

Nous y sommes entrés en redescendant la colline, dans ce jardin des Oliviers. C’est un terrain enclos de murs, au pied de la sainte montagne, en face de la porte Saint-Étienne. Les huit troncs d’oliviers, vénérables arbres que la piété chrétienne fait remonter jusqu’aux jours de Jésus, ne vivent plus que par l’écorce, emplie de cailloux et surmontée de quelques bouquets de feuillage. On pénètre en ce lieu sous l’empire d’une émotion profonde pour y chercher la trace de l’auguste douleur qui l’a consacré ; il est difficile de se défendre d’un sentiment d’exaspération en voyant sous quel travestissement une dévotion inintelligente a déguisé ce sanctuaire. De petits parterres à la française, plantés d’immortelles et de buis, clos par des barrières de bois proprettes, séparent les arbres séculaires : le long du mur en maçonnerie qui ferme le jardin, les stations d’un chemin de la croix étalent leurs baroques puppazzi de cire peinte ; dans un des angles, une tonnelle de vignes grimpantes abrite la maisonnette du frère gardien, qui se promène en arrosant ses fleurs. Ce jardinet de presbytère de campagne n’était certes pas ce qu’on venait chercher dans le retrait solitaire où le Christ se réfugiait pour se préparer à la mort.

En rentrant dans la ville, que nous avons laissée ce matin calme et morte comme à son ordinaire, nous la trouvons tout émue et frémissante de nouvelles agitations religieuses. Un firman apporté de Constantinople a annoncé au patriarche grec, Mgr Cyrille, sa