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préparés de la main de sa sœur. Singulière destinée en vérité que celle de ce pontife, commencée au pays latin et finissant sous la mitre dans un drame des Mille et une Nuits !

On nous a précisément montré ce matin, sur le mont des Oliviers, de nombreux vestiges mis à découvert par des travaux récens ; ils attestent l’existence d’une colonie arménienne considérable à une époque reculée sur le plateau aujourd’hui désert. Les chroniques d’Arménie parlent de princesses de la famille royale retirées à Jérusalem vers le VIIIe siècle ; faut-il leur attribuer ces restes ? Ce sont des fragmens d’architecture, des pavés de mosaïque fort curieux et d’un très bon style, avec des légendes arméniennes, des tombeaux, des cercueils en plomb timbrés de croix. On trouve de menus objets, de petites lampes en terre cuite enfouies dans les caveaux, suivant la touchante et symbolique coutume léguée par le paganisme aux premiers siècles chrétiens. Dans les sépultures antiques des îles de l’Archipel, le mort est couché une lampe à la main ; on lui a confié une lumière pour descendre dans l’éternité et s’éclairer dans ces redoutables ténèbres. Aujourd’hui on retrouve les lampes dans les tombes au milieu d’un peu de poudre : apparemment le mort a laissé là sa lumière inutile en ouvrant les yeux au jour éternel.

Ces découvertes sont dues à Mme la princesse de La Tour d’Auvergne, qui a bâti sur la sainte montagne tout un petit centre religieux et français. Le Pater, élégant monument sur le modèle du Campo-Santo de Pise, un couvent de carmélites, d’autres constructions encore inachevées entourent le chalet où elle habite. La princesse nous y retient et veut bien se mettre au piano pour nous faire l’aumône de ce dont nous sommes sevrés depuis si longtemps, d’un peu de musique. Tandis que les pensées chantantes de Mozart et de Schubert emplissent la petite maison, je m’assieds à la fenêtre et ne peux détacher mes yeux du spectacle sans pareil qui se déroule devant moi. Il faudrait écrire avec les larmes des prophètes pour peindre tant de beauté dans tant de désolation. D’un côté Jérusalem tout entière, descendant des hauteurs de Sion dans les profondeurs de la vallée de Josaphat, et au premier plan de la ville la majestueuse mosquée d’Omar, exhaussée sur le mont Moriah, piédestal taillé pour le temple le plus auguste du monde ; de l’autre, les horizons funèbres et solennels dont j’ai parlé dans mes courses antérieures, la vallée du Jourdain, les montagnes de Judée et de Moab enserrant la Mer-Morte. Suivant les heures du jour, des gammes de couleurs éclatantes ou douces, des dégradations de plans, des oppositions d’ombre et de lumière animent ces sombres et mornes paysages. Quand vient le soir, qui pourrait rendre avec quelques pâles gouttes d’encre le bleu lointain et charmant des