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agréé par les auteurs du projet soumis à la conférence. La Prusse, qui se défie des idées humanitaires, mais qui fait profession de respecter beaucoup les intérêts de la civilisation, a recherché les moyens de diminuer les maux de la guerre; elle pense en avoir découvert deux. Le premier est d’obtenir des vaincus qu’ils renoncent à prolonger une résistance désespérée, et il est incontestable que, si un état, après avoir reconnu par une première épreuve l’infériorité de ses forces, abandonnait la partie et se résignait à sa défaite, il s’épargnerait d’inutiles sacrifices d’hommes et d’argent. Les auteurs du projet discuté à Bruxelles semblent avoir pris à cœur d’inculquer au vaincu l’esprit de résignation. Comme l’a remarqué M. le colonel Hammer, l’innovation la plus grave qu’ils aient proposée est l’ensemble de dispositions contenues dans le chapitre intitulé de l’Autorité militaire sur le territoire de l’état ennemi. Le projet, aux termes de sa teneur primitive, établissait que dans toute la partie du territoire occupée par l’ennemi l’autorité du pouvoir légal est remplacée par celle de l’état occupant, que ce dernier peut, selon qu’il lui convient, ou maintenir les lois établies, ou les modifier, ou les suspendre entièrement, que le chef de l’armée d’occupation peut contraindre les fonctionnaires de l’administration, de la police et de la justice à continuer l’exercice de leurs fonctions sous sa surveillance et son contrôle, exiger des fonctionnaires locaux qu’ils s’engagent sous serment ou sur parole à remplir les devoirs de leur charge, révoquer ceux qui refuseraient de satisfaire à cette exigence, et poursuivre judiciairement ceux qui s’affranchiraient de l’obligation contractée par eux, enfin que l’armée d’occupation est autorisée à prélever à son profit tous les impôts, qu’elle a le droit de se saisir de tous les capitaux du gouvernement et un droit de jouissance sur les édifices publics, les immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l’état.

La gravité de telles dispositions ne pouvait échapper à personne; elles ont été vivement combattues, la rédaction en a été adoucie, c’est tout ce qu’ont obtenu les opposans. A la vérité, on a effacé un article 46 qui portait que « les individus faisant partie de la population d’un pays occupé par l’ennemi et qui se soulèvent contre lui les armes à la main ne sont pas considérés comme prisonniers de guerre, mais sont déférés à la justice. » Il n’importait guère que cet article fût conservé ou supprimé, il n’est que la rigoureuse conséquence du principe posé, et les généraux se chargeront de l’en déduire malgré le silence du législateur. Si ce principe était admis par les gouvernemens, il s’ensuivrait que les populations envahies ne subissent pas une violation ni une oppression; elles n’auraient fait que changer d’état légal, un gouvernement se serait substitué à un autre, et quiconque se refuserait à reconnaître cette substitution devrait être envisagé et traité comme un séditieux. Il en résulterait aussi que tout état menacé d’une guerre prochaine serait tenu