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moins une meilleure chance, parce qu’après tout elles répondent aux nécessités pratiques d’une situation.

Au demeurant, la crise est vaincue ; elle a été dénouée par le vote du 25 février, qui met fin au provisoire constitutionnel, comme par la formation d’un cabinet définitif, qui met fin au provisoire ministériel, et, s’il y a eu des sacrifices, des concessions à faire, tout le monde s’y est prêté, le centre gauche aussi bien que le centre droit, parce que tout le monde a senti qu’il y avait un intérêt pressant à en finir. Personne au dernier moment n’a plus contribué à décider le succès que M. Bocher par cette intervention qui lui a été demandée et qu’il n’a pas refusée. Il a réveillé la confiance, rallié des volontés déjà éparses, tempéré peut-être des excitations naissantes, et, si l’on nous passe le mot, il a remis tout en train, faisant le ministère sans vouloir être lui-même ministre. Ce qui n’est point douteux non plus, c’est que la gauche a singulièrement facilité le dénoûment par sa modération et par une réelle habileté de conduite. La gauche, dans cette crise, a eu le mérite de savoir éviter d’être un embarras, de ne mettre obstacle à rien, de seconder tout ce qui était raisonnablement possible, et dans les réunions diverses qui ont eu lieu, soit avec ses amis, soit avec les membres des autres groupes parlementaires, M. Gambetta a montré, dit-on, le plus sérieux esprit politique ; il a été plus modéré que les modérés, il a conseillé tous les compromis qui pouvaient conduire à une solution, à la seule solution compatible avec les circonstances.

Quoi donc ! dira-t-on ; tout cela n’est-il pas bien extraordinaire ? Où en sommes-nous ? La gauche vote pour un sénat, elle vote pour le droit de dissolution conféré à M. le président de la république, pour le droit de révision constitutionnelle laissé aux chambres. Voici qu’aujourd’hui elle aide à la formation d’un ministère conservateur, et demain elle va peut-être porter M. le duc d’Audiffret-Pasquier à la place de M. Buffet sur le siège de la présidence de l’assemblée ! Que signifie ce concours presque empressé des républicains de l’assemblée ? N’y a-t-il pas quelque raison secrète, quelque arrière-pensée menaçante dans cette tactique ? — Assurément il doit y avoir une raison dans cette conduite de la gauche, le secret n’est pas difficile à deviner. La gauche obéit à la nécessité de mettre fin à un provisoire dont le bonapartisme a seul profité jusqu’ici ; la crainte du bonapartisme est pour elle, si l’on veut, le commencement de la sagesse, et puis il est bien certain qu’elle trouve dans la marche des choses une première satisfaction. Nous nous souvenons qu’un jour on faisait les mêmes observations, on reprochait à M. Thiers, alors président de la république, l’appui qu’il trouvait dans la gauche, on cherchait des mystères dans cette alliance, et M. Thiers expliquait le phénomène avec autant de finesse que de raison. Il montrait que, s’il avait l’appui des républicains, ce n’était pas parce qu’il partageait leurs