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de raison la république se trouvant sans président, un coup de force devait donner un démenti à la proclamation constitutionnelle. Ce jour se passa sans incident d’aucune sorte, et l’artillerie, rangée devant la maison du gouvernement, était une manifestation inutile.

Cependant les mitristes n’étaient pas sans avoir réuni des forces imposantes au loin dans le sud et sur les frontières de la province. Ils occupaient tour à tour les villes les plus importantes de ces régions, changeaient les autorités, tenaient le littoral par les deux ports du Tuyu et de l’Ensenada, où le général Mitre débarquait le 11 octobre, et où se réunissaient les insurgés sous la surveillance et la protection des canonnières. Pendant cette période d’organisation, qui dura autant que la guerre civile, les mitristes paraissaient ne rechercher qu’une grande mobilité ; disposant de plus de vingt mille chevaux pour 4,000 ou 5,000 hommes, ils opéraient des déplacemens rapides, et fatiguaient incessamment les troupes du gouvernement, moins bien montées et embarrassées d’infanterie. C’étaient là de beaux mouvemens, une sorte de fantasia militaire dans la pampa, mais ce n’était pas une guerre de circonstance qui pût conduire au but poursuivi au milieu de la sympathie générale : c’était surtout une guerre impolitique dans le cas présent. Les habitans de la campagne, forcément atteints dans leurs propriétés, et dans les villes les élémens étrangers, tenus en suspens, s’étaient bientôt écartés; désireux d’abord de voir triompher promptement l’un des deux partis, ils en arrivaient à souhaiter le succès du gouvernement légal, qui semblait avoir plus de souci des intérêts du pays et joindre la force de résistance à l’esprit de conduite.

Aussi ce fut avec une satisfaction assez générale qu’au bout de deux mois de cette guerre sans incidens et sans bataille on apprit à Buenos-Ayres qu’une partie des troupes mitristes s’étaient rencontrées au loin dans la pampa avec un détachement de troupes du gouvernement légal, et que le sort de l’insurrection allait se décider. On sut bientôt ce qu’avait été cette rencontre. Huit cents hommes des troupes du gouvernement, bien armés de fusils Remington, munis de deux cent mille cartouches, commandés par un simple chef de bataillon, avaient été enveloppés, dans une estancia fortifiée à la manière de ces établissemens d’avant-garde dans le désert, par les cinq mille hommes de la cavalerie de Mitre et une bataille s’était livrée, bataille de quelques heures. La cavalerie de Mitre, mal armée, s’avança à quelques pas de la levée de défense, mit pied à terre, et, renvoyant ses chevaux, tenta une prise d’assaut à la lance et au couteau, préférant cette arme ordinaire du gaucho aux armes à feu dont elle était armée; ce fut une sorte d’abordage, et la pampa offre assez de similitude avec la pleine mer pour que