Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dix dernières années à l’établissement de ses diverses constitutions politiques et au travail important de la refonte de ses lois : elle s’était donné un code civil. Au sein de la paix et de la concorde, un homme avait suffi pour mener à bien cette œuvre colossale, le savant juriste Dalmacio Velez-Sarsfield. Seul, il avait résolu les questions d’état civil, de mariage, de succession, de propriété, prenant dans les lois de tous les peuples ce qui lui semblait applicable à la société sud-américaine; aidé surtout de notre législation et de notre jurisprudence française, il avait fait une œuvre d’ensemble, complète et minutieuse, commençant, terminant ce travail, le proposant à l’approbation des pouvoirs législatif et exécutif sans qu’un incident se soit soulevé, sans qu’il ait semblé à personne qu’il pût y avoir là matière à discussion. — Heureux ces peuples neufs et libres puisant à pleines mains dans les trésors de l’industrie universelle, puisant de même dans les lois et les constitutions du vieux monde, et du sang d’autrui se faisant un tempérament puissant! Notre code civil, grande œuvre, fille d’une révolution, sortie de ruines sanglantes, expression dernière de la vitalité des philosophes de la fin du dernier siècle, a non-seulement créé nos mœurs et notre société, il engendre chaque jour des sociétés nouvelles. Le peuple argentin, aussi bien que le Chili, le Pérou et le Brésil, a pris notre code et notre jurisprudence comme base de sa nouvelle législation; mais, pas plus ici que dans ces autres pays, la refonte des lois, qui chez nous a été l’œuvre d’une révolution, ne pouvait en susciter une.

La rédaction et la promulgation de la constitution nationale et de la constitution plus récente encore de la province de Buenos-Ayres se firent ainsi au milieu de la concorde la plus parfaite. Aussi voyait-on approcher sans appréhension grave l’heure de la période préparatoire de l’élection présidentielle. Les étrangers surtout, dont les intérêts sont si étroitement liés à la tranquillité publique, étaient convaincus qu’il n’y avait pas autre chose à prévoir qu’une lutte électorale un peu plus vive peut-être que les précédentes, mais non pas plus dangereuse. Trois candidats entraient alors en ligne. Le seul célèbre et connu de tous, le seul dont le nom ait eu en Europe quelque retentissement, était le général Mitre. L’irritation causée depuis un an à la Plata par les menaces de guerre avec le Brésil faisaient du général Mitre l’homme des circonstances. Si la guerre devenait inévitable, il était plus que tout autre désigné pour prendre le pays sous la sauvegarde de son épée, et l’on savait que tous les généraux de la république accepteraient sans répugnance de combattre sous ses ordres; si elle pouvait être évitée, qui mieux que lui était en mesure de vider les difficultés diplomatiques soulevées