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souffrances, il avait donné rendez-vous dans la ville de Tours aux débris du 3e corps des gardes. C’est là qu’il apprit l’abdication de l’empereur et la restauration des Bourbons.

L’année suivante, après le retour de l’île d’Elbe, tandis que Napoléon engage sa lutte suprême avec la coalition européenne, Ségur est nommé chef d’état-major de l’armée chargée de défendre Paris sur la rive gauche de la Seine. Le 5 juillet, à cinq heures du matin, il parcourait la position à cheval en compagnie du général commandant en chef, quand ils apprirent la nouvelle de la défaite de Waterloo. Ségur était consterné ; son compagnon, surpris d’abord, se mit à réfléchir profondément. Bientôt, interrompant les exclamations de Ségur, le général en chef lui dit avec calme, le doigt dirigé vers le moulin de Vaugirard : « Voyez-vous cette hauteur ? Songez-y, elle pourra sous peu de jours acquérir de l’importance. Reconnaissez-la bien ; quant à moi, je vais à mes affaires. » Sur quoi, tournant bride, il prit le galop et rentra dans Paris ; on ne le revit plus. Nous ferons comme Ségur, qui ne cite pas le nom de ce chef, se bornant à l’appeler un homme d’esprit et de coup d’œil, sachant s’accommoder aux circonstances.

La scène du 3 juillet est moins triste, puisqu’au milieu de ses tristesses elle renferme de nobles émotions ; il était neuf heures du matin. Drouot venait d’appeler Ségur pour l’aider à placer une batterie au Petit-Montrouge. Ils s’étonnaient d’entendre les feux des tirailleurs s’éteindre successivement, quand ils virent arriver le maréchal prince d’Eokmuhl et les généraux Grenier et Carnot, membres du gouvernement provisoire. Drouot, tout entier à son affaire, interpelle le maréchal sur la nécessité de soutenir sa batterie ; mais le maréchal lui répond que par un geste de découragement et va s’asseoir sur le revers d’un fossé en face de nos canons. C’était dire assez clairement que tout était fini. Alors Ségur prend la parole ; il affirme que rien n’est perdu, si on veut tenter un dernier effort, il montre les Prussiens engagés dans une position téméraire ; il soutient que l’armée de Paris peut les y écraser le lendemain, et le surlendemain culbuter les Anglais dans Saint-Denis… — Oui, répond le maréchal, comme ressaisi par son ardeur guerrière ; mais ne voyez-vous pas qu’on ne peut plus se fier à personne, que chacun traite pour son compte, que Fouché nous trahit, que là, tout à côté de nous (et il montrait le moulin de Vaugirard), Vandamme lui-même, à la tête de la jeune garde, est découragé et ne veut plus combattre ? — Grenier ajoute que faire prendre la capitale au milieu d’une échauffourée serait assumer une responsabilité bien lourde, et que d’ailleurs on traitait déjà de la reddition de Paris avec Blucher ; il le savait pertinemment, les négociateurs s’étaient