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de fondre en larmes. L’orage creva, et sur-le-champ tout à mes yeux changea d’aspect ; je me redressai, je redevins homme ! »

Il y a lieu de rectifier ici avec Ségur une erreur échappée à l’historien du Consulat et de l’Empire. M. Thiers nie expressément ces orages terribles qui signalèrent le passage du Niémen et firent tant de ravages les jours suivans. Si on a souvent parlé d’un orage subit qui serait venu comme un oracle sinistre donner un avis non écouté, ce serait, à l’entendre, une chose imaginée après coup. « Le temps, ajoute-t-il, ne cessa pas d’être superbe, et Napoléon, qui n’avait pas eu les avertissemens de l’opinion publique, n’eut pas même ceux de la superstition. » La remarque est singulière ; il n’y a pas de superstition à reconnaître les dangers du climat, les embûches du sol, c’est-à-dire les avertissemens de la nature, et ces avertissemens-là, aussi bien que les autres, n’ont pas manqué à Napoléon avant l’expédition de Russie. Lorsque M. de Ségur lut le treizième volume de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, il fut bien étonné de cette affirmation de l’illustre historien. N’avait-il pas été personnellement témoin et même un peu victime du phénomène contesté par M. Thiers ? N’était-ce pas chose trop certaine, hélas ! que ces orages détruisirent des milliers de chevaux, sans parler des hommes ? Il fit appel à ses compagnons d’armes, et tous ses souvenirs furent confirmés. Le général Trézel lui écrivit : « Vous avez dit la vérité, mon cher Ségur. J’ai assez souffert comme vous de ce premier orage pour ne l’avoir pas oublié. Les suites en furent si cruelles que dès le lendemain nous commençâmes à voir de longues files de nos bagages, dont tous les chevaux avaient été saisis par la mort dans des convulsions qui leur donnaient un aspect effrayant. » Le duc de Plaisance, aide-de-camp de l’empereur en 1815, écrit à Ségur dans le même sens ; il lui rappelle qu’il a failli périr des suites de cet orage, et que cela seul l’empêcherait de l’oublier, si d’ailleurs ce premier désastre n’en avait entraîné tant d’autres.

On a vu que Ségur, dans sa modestie, s’excuse souvent de se mettre en scène et qu’il abandonne volontiers les mémoires familiers pour l’histoire générale ; on a pu remarquer aussi que nous prenons plaisir à renouer le fil interrompu de ses confidences personnelles. C’est lui que nous cherchons dans cette immense mêlée. Partout où la destinée le conduit, appliqué à recomposer la physionomie de ce vaillant homme, nous suivons fidèlement sa trace. Au point où nous sommes parvenus, notre guide va nous manquer. Ségur s’efface et disparaît dans la grandeur tragique des événemens. Le quatrième et le cinquième volume de l’ouvrage intitulé Histoire et Mémoires contiennent la reproduction pure et simple du livre célèbre publié en 1825 sous ce titre : Histoire de