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France. La France, où la trouver ? L’empire même, un empire vivant de sa propre vie, où est-il ? En toute chose, il n’y avait plus qu’un homme. On connaît le beau vers de Marie-Joseph Chénier :

Aujourd’hui dans un homme un peuple est tout entier !


Ce cri que lui arrachait la haine, c’était le dévoûment qui l’inspirait à Ségur. Il tremble pour l’empereur à la vue de « ce monstrueux assemblage de parties hétérogènes. » Il sait bien que, si l’œuvre parait se maintenir, c’est uniquement sous la pression de cette main puissante. De jour en jour, il faudra que cette pression devienne plus forte, et de jour en jour au contraire la main deviendra nécessairement plus faible. Sans parler des crises de l’âge, sans parler de ce mal qui tourmente l’empereur, mal mystérieux dont bien peu de personnes se doutent, mais que Ségur connaît, sans parler même de tant d’occasions de guerre où le sort du chef est à la merci d’un boulet de canon, est-ce que les ressources militaires du pays ne diminuent pas d’une façon effrayante ? Après tant de moissons humaines, il se fait partout des vides épouvantables. On ne sent plus ici la véritable force, celle qui se possède, qui se domine. Voici l’heure des emportemens, des luttes contre les puissances invincibles, des révoltes contre la nature des choses ; autant de signes de trouble et de faiblesse.

Aussi que de pressentimens agitaient les esprits attentifs ! Napoléon lui-même, en ses momens de calme, ne les dissimulait point. Combien de fois Ségur en a-t-il entendu de sa boucha l’expression tragique ! Ségur a beau nous dire que ces craintes s’évanouissaient bientôt dans un sentiment presque général d’admiration et de confiance, il avoue pourtant qu’elles étaient exprimées « jusque dans le salon des aides-de-camp de l’empereur. » Des faits même tout naturels lui apparaissaient comme des causes d’inquiétude. Fouché, au mois de juin 1810, avait subi enfin le châtiment de son ambition effrontée. Jaloux de passer pour un grand politique « et de paraître indispensable, même au génie de l’empereur, » il avait osé traiter clandestinement de la paix avec le gouvernement de l’Angleterre, et par là il avait entravé des négociations engagées en secret par le gouvernement de la France. Napoléon le destitua, mais, ne croyant de sa part qu’à une inspiration malheureuse, à un élan de zèle inopportun, il le nomma gouverneur de Rome. Quand on prit possession de son ministère, on y trouva des dossiers qui firent connaître à fond toute l’histoire ; ce n’était pas l’erreur d’un moment, c’était une intrigue ancienne et persistante. Ce grand politique s’était livré comme un étourneau. Sa nomination de