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convention, c’était lui qui, sous le directoire, en avait détruit la queue. Il s’agissait alors des derniers jacobins, de ceux qui, ayant la république, persistaient à vouloir tout détruire. Leur club, rétabli dans la salle du manège, réunissait déjà plus de 3,000 frères et amis. Fouché, ministre de la police, les dénonça au directoire, mais le directoire hésitait à les poursuivre, et Bernadotte, ministre de la guerre, semblait avoir des raisons de les ménager. C’est là que se trouve ce curieux passage du récit de Fouché. « Je fis venir Bernadotte chez moi et je lui dis : Imbécile ! où vas-tu, et que veux-tu faire ? En 93, à la bonne heure, il y avait tout à gagner à défaire et à refaire ; mais ce que nous voulions alors, ne l’avons-nous pas aujourd’hui ? Or, puisque nous voilà arrivés et que nous n’avons plus qu’à perdre, pourquoi donc continuer ? Il n’y avait rien à répondre, et pourtant il s’obstina. Alors j’ajoutai : — Comme tu voudras, mais souviens-toi bien que dès demain, quand j’aurai affaire à ton club, si je te trouve à sa tête, la tienne tombera de tes épaules ; je t’en donne ma parole, et je la tiendrai ! Cet argument le décida. » Il est évident qu’on n’imagine point de pareilles choses. La transcription de Ségur est parfaitement exacte : voilà bien l’âme et le style de Fouché. Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’en dévoilant ainsi l’infamie de son programme, l’ancien jacobin croyait naïvement faire son apologie. Comme il avait oublié ses victimes, il trouvait tout naturel que son interlocuteur les eût oubliées de même, et c’est avec le sentiment assuré de son mérite qu’il se donnait comme le type du révolutionnaire satisfait qui s’arrête à l’heure juste.

Ségur ne dissimule pas le dégoût que lui inspira Fouché. Comment donc l’empereur gardait-il auprès de lui un tel personnage ? Comment celui qui appréciait si bien les sentimens nobles, qui était si heureux de rattacher à sa cour les représentans de l’ancienne aristocratie, pouvait-il confier une part du pouvoir à ce jacobin cynique ? Il y a sans doute une raison générale, le désir de neutraliser les anciens partis en les enveloppant tous dans les liens du monde nouveau ; on connaît aussi la raison particulière tirée de l’habileté de Fouché, de sa connaissance des hommes et des affaires, dans un temps où les secousses révolutionnaires avaient laissé des traces si profondes. Tout cela cependant n’explique pas pourquoi en 1809, Talleyrand et Fouché s’étant rendus suspects au maître, le premier par son langage, le second par ses actes, Talleyrand est remplacé tandis que Fouché conserve son poste. Ségur en donne une explication fort curieuse qui achève de peindre le jacobin courtisan. Fouché dès 1807 avait cru plaire à Napoléon en le poussant au divorce ; il avait même eu l’audace de prendre auprès de l’impératrice Joséphine l’initiative d’une démarche à ce sujet, ce qui lui avait attiré