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docteur et l’employé proposent tour à tour leurs explications, le premier insistant sur la vie commune des nerfs, le second rapportant tout à l’action souveraine de l’âme. L’un est un physiologiste de l’école de Cabanis, l’autre est un animiste à la manière de Stahl. Ségur intervient dans le débat et cite la doctrine cartésienne adoptée par Malebranche, à savoir que « l’âme réside immédiatement dans la partie du cerveau à laquelle tous les organes des sens aboutissent. » On ne s’attendait guère à voir le cartésianisme, si dédaigné au XVIIIe siècle, reparaître ainsi dans ce petit village espagnol, invoqué par un héroïque soldat. C’était précisément cet héroïsme qui lui rappelait tout à coup ses lectures d’autrefois et les éclairait d’une lumière inattendue. « J’étais si intéressé, dit-il, surtout depuis sept ou huit jours, à ne pas séparer l’âme du corps ! »

Enfin, tout en philosophant, on s’approchait de Madrid. Ségur y arriva le 7 décembre. Il put alors goûter le repos qui lui était si nécessaire et commencer une convalescence qui devait durer bien des mois. Quinze jours plus tard, avant de reprendre le chemin de la France, l’empereur lui adressait cette lettre, dont l’original est conservé aux Archives nationales :


« Monsieur Philippe de Ségur, j’ai éprouvé une véritable peine de vous savoir un moment en danger. J’apprends avec bien du plaisir que l’état de vos blessures vous permet d’entrer en convalescence et d’aller bientôt vous rétablir à Paris. Vous ne devez avoir aucune espèce d’inquiétude sur votre sort ; vous m’avez donné des preuves de votre zèle, de votre bravoure et de votre attachement à ma personne. Votre principale affaire à présent est de vous guérir de vos blessures de manière à ne pas vous en ressentir. Cette lettre n’étant à autre fin, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde.

« A Madrid, le 21 décembre 1808.

« Napoléon. »


En même temps il le nommait colonel et le chargeait, une fois sa santé rétablie, d’aller remettre au corps législatif les drapeaux pris dans cette campagne. Cette cérémonie n’eut lieu qu’un an après, dans la session de 1809 à 1810. Le blessé de Sommo-Sierra était revenu en France aux premiers jours de 1809. Ses plaies étaient encore ouvertes, il dut garder le lit pendant une partie de l’année. Quand la session s’ouvrit au mois de décembre, il était enfin sur pied et parfaitement en mesure de s’acquitter de sa mission. Je dis parfaitement au point de vue des forces physiques, ses dispositions morales étaient moins assurées. Le jour fixé pour la remise des drapeaux fut le 22 janvier 1810. L’empereur avait réglé lui-même les principales dispositions de la solennité. Les plus grands