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des réputations. Pour ce motif sans doute, nombre d’amis lui restent. La presse ne retentit que de son procès. Tandis que certains journaux demandent que l’on protège le sexe fort contre les représailles du sexe faible, contre les prétendues vengeances amoureuses qui se multiplient d’une effrayante façon, les autres font valoir le côté romanesque et pathétique de l’aventure.

Dans ces débats oiseux, les semaines, les mois, près d’une année se passe, et deux événemens graves coïncident à la fin : le jugement de Laure et la confirmation du bill par le sénat. Des télégrammes envoyés tantôt du tribunal et tantôt de l’assemblée remplissent alternativement la famille Hawkins de crainte et d’espérance. Dilworthy se croit sûr non-seulement de faire triompher le projet de l’université du Tennessee, mais encore d’être réélu à une immense majorité. Il a compté sans un de ses collègues, M. Noble, qui déclare en pleine tribune avoir reçu de lui la veille sept mille dollars pour prix de son vote. Que les amis de Dilworthy ne s’inquiètent pas ; sans doute cette bombe en éclatant causera quelque scandale, mais la corruption est chose trop fréquente dans les affaires publiques pour ne pas trouver de nombreux défenseurs. Il est vrai que de tous côtés on crie anathème à l’hypocrite, à l’instigateur intéressé de missions, de vertueuses réformes et d’écoles du dimanche, mais l’enquête ordonnée se trouve être néanmoins plus défavorable à l’accusateur qu’à l’accusé ; sans justifier complètement ce dernier, elle allège la responsabilité détestable qui pèse sur lui, et, en dépit du murmure de quelques sénateurs plus pointilleux que la masse de leurs collègues, Dilworthy est autorisé à siéger jusqu’à la dernière heure de la session. Ses commettans le consolent par leurs ovations d’une disgrâce qui, selon toute apparence, ne sera pas de longue durée.

Le procès de Laure n’a pas un dénoûment plus moral. Un jeune avocat, que ce plaidoyer met à la mode, sauve la vie de sa cliente en alléguant un accès de clémence ; mais, dans tous les pays civilisés, un être qui a tué, même sans en avoir conscience, est enfermé, ne fût-ce que par précaution : la sécurité publique l’exige ; partout ailleurs, un asile d’aliénés s’ouvrirait devant Laure. En Amérique, les choses ne se passent pas ainsi. Déclarée non coupable, la meurtrière est libre par conséquent. Tandis que les femmes qui remplissent la salle se jettent au cou de l’éloquent avocat, fort beau garçon d’ailleurs, pour le couvrir littéralement de baisers, l’héroïne de la fête sort au milieu des applaudissemens, le front haut, et quand sa mère adoptive, l’honnête Mme Hawkins, qui a failli succomber sous tant d’émotions, tant de honte, lui dit avec une tendresse que rien ne lasse : — Permets-moi de t’emmener chez nous, bien loin de