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d’or. La pensée de déposer son trophée aux pieds de Ruth Bolton n’est pas un médiocre stimulant pour Philippe.

Cette lettre trouvera la jeune fille plongée dans les études scientifiques auxquelles est consacrée la meilleure partie de son temps. Les monotones occupations que lui offre « la société des amis » ne suffisent pas à sa vive intelligence, qui refuse de se laisser guider exclusivement par « la lumière intérieure; » cette enfant délicate dissèque comme ses compagnes brodent. Tout en fréquentant assidûment le collège médical, elle pense beaucoup néanmoins à Philippe, qu’elle aime d’un amour dominé par la raison. De son côté, la correspondance n’a rien de sentimental, c’est un mélange de conseils fraternels et de sarcasmes bienveillans, elle met surtout Philippe en garde contre certains promoteurs d’escroqueries dont elle a vu plus d’un échantillon dans la maison de son père, qui, dit-elle, attire cette sorte de gens comme un tonneau de sucre attire les mouches; mais ses avertissemens seront inutiles, puisque Philippe, à peine débarqué à Saint-Louis, donnera dans les lacs du colonel Sellers, qui va l’initier, bien entendu, aux mille projets de sa cervelle fêlée. Le moins inexécutable paraît être encore la création d’une ville, que d’avance il nomme Napoléon, sur la rivière Colombus, puissant cours d’eau destiné, moyennant quelques petits travaux d’appropriation, à devenir un des plus beaux fleuves de l’ouest. L’entrain excessif des jeunes aventuriers n’est pas tempéré par les hommes d’expérience qui composent le comité d’exploration. Le flacon d’eau-de-vie circule librement parmi ces messieurs, grands entrepreneurs de travaux publics et de chemins de fer qui affectent à New-York et à Boston une austérité puritaine, mais qui en voyage se dérident au besoin. Le puritanisme de maint Américain n’est qu’une question de latitude; règle générale, on le laisse au logis. Après avoir fait de bons dîners et conclu leurs marchés tant avec l’état qu’avec les administrations de chemin de fer, les gros bonnets du comité s’en retournent, laissant Philippe et Harry libres de rejoindre le corps des ingénieurs près de la ville de Magnolia, mais sans leur allouer aucun traitement. Lorsqu’ils ont réussi à s’acclimater, comme on dit, en faisant connaissance avec la fièvre, les deux amis et un de leurs compagnons s’embarquent sur le Mississipi, pour pénétrer ensuite à cheval dans les magnifiques solitudes de la prairie : l’immensité de verdure diaprée de fleurs brillantes et entrecoupée de bouquets de chênes blancs fait penser à un parc sans limites; leur imagination y plante des châteaux de distance en distance.

Vers la fin du troisième jour, les cavaliers atteignent la ville de Magnolia, composée d’une seule cabane moitié magasin, moitié