Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’arsenal poudreux des vieilles lois anglaises un décret oublié du parlement de je ne sais quelle année qui édictait des punitions sévères contre les auteurs de discours injurieux pour la Divinité. Sans aller si loin, le Punch lui-même se mit de la partie, et nul n’ignore que Mister Punch est une institution britannique. Comme le scandale avait eu lieu en Irlande, les vingt-huit archevêques et évêques d’Irlande lancèrent de Dublin une épitre pastorale pour prémunir leurs ouailles contre ces dangereux sophismes, qui menaient droit à la perdition des âmes. Rien, en un mot, ne manqua à la fête.

Ces dénonciations bruyantes eurent le résultat qu’il était facile de prévoir. L’Anglais n’aime pas à se prononcer avant d’avoir entendu les deux parties. Le discours de Belfast fut médité par des milliers de lecteurs en Angleterre et en Amérique, et l’auteur ajouta à la septième édition, sous forme de préface, une verte réplique à ses adversaires de tout genre. « J’ai dû remarquer avec tristesse, dit-il, combien les hommes sont influencés grossièrement par ce qu’ils appellent leur religion, et puissamment par cette « nature corrompue » que la religion, comme ils l’assurent, est surtout appelée à extirper ou à dompter. » Laissant de côté toute sorte de déclamations creuses, il envisage directement la plus forte objection, la plus raisonnable aussi, qu’on lui ait faite. On lui a reproché d’avoir déserté le domaine de la science pure pour empiéter sur celui de la théologie. Non, répond-il, je n’ai rien déserté et je n’ai empiété nulle part. Physicien je suis et physicien je reste; mais la science va droit devant elle, et je fais comme la science. Ce n’est pas sa faute, si, en traitant scientifiquement les questions cosmogoniques, il lui arrive de heurter des idées consacrées peut-être par les traditions religieuses, mais sans aucune autorité légitime en pareille matière. On l’a accusé d’avoir dépassé, dans l’exposé de ses théories sur la constitution du monde, les données de l’expérience et de s’être ainsi rendu coupable d’infidélité à la méthode qu’il préconise. Accusation ridicule, dit-il; s’il fallait se cantonner exclusivement dans les pures données de l’expérience, il n’y aurait pas de science possible. La science doit s’appuyer avant tout sur les faits posés ou vérifiés par l’expérience, mais son mandat est justement de formuler les lois ou les conceptions générales que ces faits révèlent et qui les dépassent, puisqu’elles les comprennent. Il n’est pas une théorie, qu’il s’agisse de lumière, de chaleur, de magnétisme, d’électricité, qui ne soit exposée à ce genre de reproches.

« Raisonnons avec calme, ajoute-t-il. Je me rallie à la théorie des nébuleuses telle qu’elle a été proposée par Kant, Laplace, Herschel, et telle qu’elle est admise par les meilleurs esprits scientifiques