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accomplies dans les rangs les plus élevés de la société anglaise. Il ne faut ni rabaisser ni exagérer ce signe des temps. Le peuple anglais est trop foncièrement protestant pour que l’on puisse raisonnablement s’attendre à le voir revenir en masse au catholicisme; d’autre part, on ne peut, en présence de pareils faits, se dissimuler qu’à tout le moins il y a something rotteen quelque chose qui branle au manche, in the church of England.

De son côté, la tendance intermédiaire entre le ritualisme et l’orthodoxie calviniste, le broad church, s’est développée conformément au principe de liberté scientifique et de largeur dogmatique dont elle est issue. Le plus savant sans contredit et le plus philosophique des trois, ce parti comprend la gravité de la situation et sent bien que, si l’on n’y porte remède, si les divergences continuent de s’accentuer au point que la vie commune au sein d’une même église devienne impossible, l’église d’Angleterre finira par n’avoir plus de national que le nom. Dès lors le disestablishment, déjà demandé par tant de dissidens, vanté tout récemment par M. Bright, ne tarderait pas à s’imposer comme une nécessité. Or les hommes du broad church, du moins pour la plupart, croient que le régime d’une grande église nationale, pouvant abriter dans ses vastes cadres, à la condition d’une élasticité suffisante, beaucoup d’opinions distinctes, est préférable au morcellement indéfini qui résulte du régime de la séparation absolue et qui ne profite guère qu’aux sectes fanatiques ou superstitieuses. Ils voudraient donc renouveler, sauver l’église anglicane par la méthode de l’élargissement plutôt que parcelle du rétrécissement dogmatique ou de l’autorité sacerdotale. Réussiront-ils dans cette œuvre? Nul ne pourrait encore le dire, d’autant plus que, comme tous les partis dont la science et la critique font la force principale, ils ont encore bien à faire avant d’être ce qu’on peut appeler un parti populaire ou même compacte et discipliné. Ils sont un état-major plutôt qu’une armée. Naturellement les extrêmes, évangéliques, ritualistes, catholiques, les accusent d’incrédulité et d’impiété. S’ils cherchent, comme tous les théologiens libéraux du continent, à fonder la validité des croyances sur la nature religieuse de l’homme, en particulier sur le sentiment religieux, on leur reproche de n’avoir pour toute religion que ce sentiment lui-même. Comme c’est dans leurs rangs que se trouvent les représentans les plus distingués de la critique et de l’histoire religieuse, il est facile à leurs adversaires de crier au blasphème et de dénoncer à l’indignation des âmes pieuses les brèches que leurs écrits font à toutes les orthodoxies traditionnelles. Ajoutons, nullement comme un blâme, mais parce qu’il n’en peut être autrement, que leur libéralisme intelligent les