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Europe, ce problème s’impose avec une impérieuse urgence. L’évidence des ramifications qu’il offre avec toutes les questions politiques et sociales frappe désormais tous les yeux. Le tour positif et pratique de l’esprit anglais ne se plie pas comme l’idéalisme allemand à l’antagonisme prolongé de la théorie et du fait. L’Anglais entend que, lorsque la théorie réclame un changement, le fait le subisse. Enfin le calme profond de la situation politique, cet admirable respect de la liberté individuelle qui fait l’honneur et la force de ce pays, le vif intérêt qu’on y porte aux débats religieux, forment ensemble un concours de circonstances qu’on regrette de ne pas trouver partout aussi complet, et qui favorise singulièrement l’évolution naturelle du conflit.

Ce n’est pas du tout contredire cette appréciation générale que de relever la violence de la crise que ce conflit a suscitée. La froideur proverbiale des Anglais n’existe qu’en apparence. L’Anglais est en réalité un homme très passionné qui sait ordinairement se contenir, mais qui, lorsqu’il éclate, ne le cède à personne en emportement. Sa polémique n’est pas tendre, et s’il respecte loyalement la liberté du plus faible, c’est à la condition de lui dire rudement ce qu’il pense. On le sait, c’est en matière religieuse, c’est-à-dire sur le domaine où l’on devrait procéder avec le plus de ménagement et même de timidité, que les hommes sont partout le plus enclins à se vouer réciproquement aux dieux infernaux. Aussi n’est-ce pas précisément au profit de la charité que les journaux, les brochures et les livres anglais retentissent en ce moment des accusations et récriminations que se lancent à l’envi les partis théologiques. Pour nous, spectateurs à distance, plus frappés des généralités que des détails, un phénomène très grave par ses conséquences nous paraît primer tout le reste, c’est la dissolution lente de ce que nous appelons l’anglicanisme, soit comme institution religieuse nationale, soit surtout comme résultante d’un certain état spirituel longtemps particulier à l’Angleterre. Il se pourrait en effet qu’une grande église nationale renouvelée se formât par la suite sur les débris de l’ancien ordre de choses. Si cette issue du conflit est improbable aux yeux d’un grand nombre, il serait présomptueux de la dire impossible. Quoi qu’il en soit de l’avenir, le fait actuel est que l’anglicanisme religieux subit en ce moment les plus rudes assauts qu’il ait connus depuis la fin du XVIIe siècle.

Lord John Russell a dit un jour que l’Angleterre vivait de compromis. La constitution anglaise, disait-il, est un compromis entre la monarchie et la république; le parlement anglais par sa composition est un compromis entra l’oligarchie des hautes familles et la démocratie; l’église anglicane est aussi un compromis entre le catholicisme