J’obtins facilement la confidence détaillée de ses entrevues avec Gaston. Elle faisait secrètement tous les ans, vers le mois de mai, un voyage à Montesparre. De là, déguisée en paysanne, elle allait soit à Flamarande, où elle entrait par un couloir souterrain aboutissant à l’intérieur du donjon habité par Ambroise et Gaston, soit au Refuge, d’où, selon elle, M. de Salcède s’exilait pendant quelques jours, soit dans quelque foire du pays où Ambroise, accompagné du jeune homme, conduisait les chevaux élevés par Michelin. Pour les vêtemens, les connaissances spéciales, le langage et les manières de surface, Espérance était bien le fils de Michelin ou d’Ambroise. Il ne lui en coûtait pas de parler le patois, d’équiter pour la montre les chevaux nus, de manger au cabaret, de faire échange de quolibets avec les maquignons. On était tout surpris de découvrir en lui un homme parfaitement civilisé quand il se retrouvait avec ses pareils. La comtesse me raconta sa dernière entrevue avec lui.
— Cette année, c’était dans un buron du Puy-Mary, me dit-elle. Il lui avait pris fantaisie d’aller passer la saison sur les hauteurs avec les bergers, et M. de Salcède ne l’en avait pas détourné, pour des raisons qu’il ne m’a pas précisément dites, mais que j’ai devinées.
— Dois-je essayer de les deviner aussi ?
— Oui, essayez.
— L’amour a dû parler déjà au cœur de ce jeune homme.
— Justement ! Mais ce n’est pas, comme chez Roger, une fièvre que peut apaiser la première beauté venue, sauf à être oubliée pour une autre le lendemain. Gaston, élevé dans un milieu sauvage avec des idées romanesques, rêve l’amour exclusif, éternel. Déjà depuis quelque temps Salcède le trouvait triste et préoccupé, il ne pouvait plus travailler. Il a presque confessé son intention d’épouser Charlotte Michelin.
— Ma filleule ?
— Votre filleule. Elle est charmante, aussi sage que jolie et très intelligente. C’est l’élève de Gaston, comme Gaston est l’élève de Salcède, et je crois bien que, moralement parlant, elle n’est inférieure à personne dans le monde ; mais Gaston est trop jeune pour s’établir, et la position qu’on lui a faite présente d’étranges obstacles. Il ne peut se marier sans avoir un acte d’état civil, et nous ne pouvons lui révéler que le sien est à la mairie de Sévines. Il lui faudrait je ne sais quel acte de notoriété, dressé à Flamarande, qui ne lui donnera d’autre nom que celui d’Espérance, sous lequel on l’a toujours connu, et qui demande des formalités. Enfin, voyant qu’il fallait tout au moins attendre, mon cher fils a voulu s’éloigner de Charlotte et tâcher de l’oublier au moins pendant quelque temps. Vous voyez par là les principes et la chasteté de ce jeune homme,