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abyssinien, le jeune botaniste revint en Europe lorsqu’il se vit à bout d’argent, emportant un herbier splendide et possédé du désir de retourner en Afrique aussitôt que ses moyens le lui permettraient, afin d’entreprendre une investigation plus complète de la flore mystérieuse du bassin du Nil.

C’était là pour le botaniste un champ pour ainsi dire inexploré. Cependant sa santé avait subi de graves atteintes, de nombreux accès de fièvre avaient amené une désorganisation de la rate. Ce mal disparut comme par miracle après l’avoir visité une dernière fois à Alexandrie, et, chose inouïe dans les annales des voyages, pendant un séjour de trois ans dans les contrées les plus malsaines de l’Afrique, M. Schweinfurth, comme s’il avait été bronzé par la maladie, sembla jouir d’une immunité personnelle au milieu des épidémies. Peut-être aussi faut-il attribuer cet heureux résultat à l’usage régulier du sulfate de quinine durant la saison dangereuse. — Enfin la question pécuniaire fut résolue par les fonds que la Société de Humboldt mit à la disposition du voyageur, qui retourna en Égypte au mois de juillet 1868. De Suez, M. Schweinfurth se rendit à Djeddah, où il trouva une embarcation arabe non pontée qui le conduisit, vers la fin du mois d’août, à Souakine, sur la côte de Nubie. Le 1er novembre, il était à Khartoum. Il s’était fait recommander d’une manière spéciale à Djafer-Pacha, le gouverneur-général du Soudan égyptien, qui l’accueillit à merveille et le mit en rapport avec un des principaux traitans d’ivoire, le Copte Ghattas, dont l’appui devait lui être d’une grande utilité.

Le trafic entre Khartoum et la région des sources du Nil est alimenté avant tout par le commerce des esclaves et celui de l’ivoire. Le troc de l’ivoire est tout entier aux mains de six grandes maisons et d’une douzaine de petites qui leur sont associées ; il ne représente qu’une exportation annuelle de la valeur de 2 millions de francs, et, pour ne pas tomber au-dessous de ce chiffre, les traitans sont obligés de pénétrer à chaque campagne plus avant dans l’intérieur. Ils y sont suivis par les explorateurs européens et aussi par le marchand d’esclaves arabe, le fléau de ces contrées. Pour faciliter leur commerce, ces traitans possèdent un grand nombre de dépôts aussi rapprochés que possible des lieux de production, et qu’ils établissent au sein des tribus pacifiques vouées à l’agriculture. Ces postes, appelés zèribas (palissades), sont des villages entourés d’une enceinte que la population indigène est tenue de pourvoir de vivres, et où l’on renferme des munitions, des objets d’échange et les dents d’éléphant apportées par les chasseurs. Dans chaque zèriba, la maison à laquelle appartient le dépôt est représentée par un intendant. Une population musulmane de 12,000 âmes s’est ainsi établie dans ce pays, tenant sous sa domination 200,000 indigènes sur un territoire équivalant à douze départemens français. C’est grâce