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Vous savez faire un livre, messieurs, ce qui n’est pas chose facile. Vous savez poser une question et la débattre. et la résoudre avec une clarté, une lucidité sans pareille; — c’est comme un discours de M. Thiers. Vous possédez pour cela une langue admirable, dans laquelle se réfléchissent comme dans un miroir les bonnes qualités que je viens de nommer. C’est la loi de nature, car la langue d’un peuple, c’est toute son âme, son intelligence et son cœur. Votre langue ressemble à bien des égards, — foi d’helléniste, — à la langue d’Aristophane, de Platon, de Démosthène. Je vous en donnerai une preuve, une expérience que j’ai faite bien souvent pendant ma vie en riant quelquefois un peu, — sous cape. L’érudition malade ne dégénère que trop souvent en un jargon pédantesque, — latin ou non, — qui, sous un faux air de profondeur, n’est après tout que du verbiage. Savez-vous bien, messieurs, comment on peut le plus facilement du monde confondre et démasquer ce verbiage érudit? On n’a qu’à le traduire tout simplement en grec ou en français; aussitôt la fausse profondeur disparaît, et le verbiage reste tout nu devant nos yeux.

« Aussi, messieurs, pour en finir une bonne fois, nous autres Hollandais, qui avons conservé religieusement les saines traditions de nos pères, et qui par conséquent n’avons pas peur de ces vieux portraits qui nous regardent fixement dans la salle du sénat, tant que nous tiendrons à conserver aussi dans notre érudition nationale, solide et massive comme toujours, le bon goût et le bon sens, c’est vous, messieurs les Français, qui serez toujours nos maîtres. »

Nous devons nous rendre un témoignage : quoi qu’on dise de la vanité française, nous étions tous surpris et presque confus de tant d’éloges. M. Cobet, personne ne l’ignore et plus d’un maladroit l’a appris à ses dépens, n’est point de ceux qui disent le contraire de ce qu’ils pensent ou qui sachent même déguiser la vérité; mais dans ce langage, qui ne semblait point être du goût de tous ceux qui l’entendaient, quelle part fallait-il faire à l’entraînement d’anciennes sympathies, à l’obligeante et délicate pensée de consoler des vaincus, et de les relever à leurs propres yeux? Ce n’est point à nous de le dire; toutefois depuis quelques années nous avons été si peu gâtés, nous avons vu tant de serviles adorateurs du succès nous prêter tous les vices depuis que nous avions eu tous les malheurs, qu’il ne nous est point défendu de remercier du meilleur de notre âme ceux qui, comme M. Cobet, n’ont pas, malgré nos fautes, désespéré de la France. C’est à nous de leur donner raison, de leur montrer que notre patrie n’a pas dit son dernier mot; pour y réussir, le premier devoir à nous imposer, c’est de nous mettre en garde contre cette fatuité, contre cette admiration de nous-mêmes où nous