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tout octroi et de tout impôt; mais une plus haute récompense lui fut accordée bientôt après. Sur l’avis de Guillaume et des états, elle fut désignée pour servir de siège à la première université qu’aient possédée les Provinces-Unies.

Depuis le commencement de la guerre, les jeunes gens de ces provinces ne savaient où aller terminer leurs études. C’était entre Douai et Louvain qu’ils se partageaient autrefois; mais ces deux villes étaient en plein territoire espagnol, et l’enseignement y était tout catholique. Le fils aîné de Guillaume d’Orange, avant même que ne s’ouvrissent les hostilités, avait été enlevé de Louvain par ordre du duc d’Albe et emmené en Espagne. Fût-on même, la paix une fois rétablie, à l’abri de ces surprises, ce n’était pas Louvain ou Douai qui pouvaient préparer au saint ministère les pasteurs dont avaient besoin les églises protestantes de la Hollande. Faudrait-il pour étudier la théologie entreprendre toujours le voyage de Genève ou d’Heidelberg et séjourner longtemps en pays étranger? N’était-il pas plus simple de fonder sur le sol même que l’on venait d’affranchir une grande école toute nationale, tout évangélique, dont le premier rôle serait de fournir des pasteurs instruits et éloquens, où se grouperaient aussi autour de la théologie et comme à son ombre les maîtres et les élèves de toutes les autres sciences? C’était là une idée qui devait venir d’elle-même à l’esprit des hommes qui dirigeaient alors les affaires des Pays-Bas, car l’instruction primaire et le goût de l’étude étaient déjà plus répandus dans cette région qu’en aucune autre contrée de l’Europe. Scaliger le remarquait non sans étonnement : dans ces provinces, les gens de service et les gens de la campagne savaient presque tous lire et écrire.

Où placer le siège de la nouvelle université? On hésitait entre plusieurs villes, Delft, Gouda, Deventer, Leyde et autres. Le siège de Leyde, la gloire dont ses habitans s’étaient couverts, tranchèrent la question en sa faveur. Nous avons la charte d’institution. Les Provinces-Unies affectaient encore de ne faire la guerre qu’au gouverneur espagnol, non pas au souverain lui-même. C’est donc au nom de Philippe II que la charte est rédigée. Par une plaisante ironie, le maître du duc d’Albe, l’homme qui a le plus haï la liberté sous toutes ses formes, se trouve ainsi fonder à Leyde une université protestante, et cela pour récompenser la ville de sa révolte contre lui-même. « Considérant, dit ce curieux document, que, pendant les terribles guerres dans nos provinces de Hollande et de Zélande, la bonne instruction de la jeunesse dans les sciences et les arts libéraux tomberait probablement dans l’oubli ; considérant les différences de religion, considérant notre désir de récompenser notre ville de Leyde et ses bourgeois des lourds fardeaux qu’ils ont