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LE
TROISIÈME CENTENAIRE
DE L’UNIVERSITÉ DE LEYDE

« Il y a de bonnes gens en ce pays, » disait Juste Scaliger dans une de ces conversations d’après-dîner où sa verve malicieuse s’épanchait librement devant quelques disciples dont il ne prévoyait point les futures indiscrétions; « mais, ajoutait-il, il n’y a pays au monde qui ait plus besoin des châtimens de Dieu[1]. » — « C’est un meschant pays que celui-ci, » s’écriait-il un autre jour. Malgré l’accueil qu’il avait trouvé à Leyde et les honneurs que lui prodiguaient le peuple des étudians, les savans les plus distingués et les plus grands personnages du royaume, il ne pouvait pardonner à la Hollande l’aspect uniforme de ses campagnes; il y regrettait les guérets dorés de l’Agénois et de la Touraine, il lui en voulait de son mauvais pain et de ses mauvais lits, il se plaignait après quelques années que la bière ne fût déjà plus si bonne qu’au moment de son arrivée. Les longues pluies, « qui durent souvent, dit-il, du mois de juillet à l’équinoxe, » l’agaçaient presque autant que la prononciation vicieuse du latin, qu’il imputait aux leçons de son prédécesseur Juste-Lipse, le fameux philologue brabançon; la viande de boucherie lui paraissait mauvaise, et les fruits sans saveur. Sa mémoire se reportait souvent vers le doux climat des rives de la Garonne, où il était né, vers ces bords de la Loire qu’il avait si longtemps habités; en vrai gourmet, il rêvait à la cuisine française, il songeait aux raisins, aux pêches et aux prunes que mûrit le soleil

  1. Scaligerana secunda, à l’article Hollande (édition de Des Maizeaux, 1740).