recomposa les Écritures perdues dérive principalement de ce livre. Enfin l’ange Uriel lui doit son droit de cité dans l’art chrétien ; l’adjonction de ce nouveau personnage céleste à Michel, Gabriel et Raphaël donna aux quatre angles du trône de Dieu, et par suite aux quatre points cardinaux, leurs gardiens respectifs.
Quant à la critique qui se propose pour tâche de faire revivre autant qu’il se peut les états passés de l’humanité, elle doit une grande attention au Pseudo-Esdras. Grâce à lui, nous avons le moyen d’étudier de près le plus fort accès de fièvre que l’humanité ait traversé. Jamais peuple n’éprouva un désespoir comparable à celui du peuple juif le lendemain du jour où, contrairement aux assurances les plus formelles des oracles divins, le temple, que l’on supposait indestructible, s’écroula dans le brasier allumé par les soldats de Titus. Les sicaires, les exaltés avaient presque tous été tués ; ceux qui avaient survécu passaient leur vie dans cette espèce de stupéfaction morne qui suit, chez le fou, l’accès furieux. Avoir touché à la réalisation du plus grand des rêves et être forcé d’y renoncer, — au moment où l’ange exterminateur entr’ouvrait déjà la nue, voir tout s’évanouir dans le vide, — s’être compromis en affirmant par avance l’apparition divine et recevoir de la brutalité des faits le plus cruel démenti, n’était-ce pas à douter du temple, à douter de Dieu ? Les idées que l’on croyait les plus indéniables étaient renversées. Jéhovah semblait avoir rompu son pacte avec les fils d’Abraham. On pouvait se demander si même la foi d’Israël, la plus ardente assurément qui fut jamais, réussirait à faire volte-face contre l’évidence et, par un tour de force inouï, à espérer contre tout espoir. Pseudo-Esdras répond à ces questions. Que nous sommes loin avec ce zélote fougueux d’un Josèphe traitant de scélérats les défenseurs de Jérusalem ! Voici enfin un Juif véritable, qui regrette de n’avoir pas été avec ceux qui périrent dans l’incendie du temple. La révolution de Judée, selon lui, n’a pas été une folie. Ceux qui défendirent Jérusalem jusqu’à la rage, ces sicaires, que les modérés sacrifiaient et rendaient seuls responsables des malheurs de la nation, ces sicaires ont été des saints. Leur sort fut digne d’envie. Ils seront les grands hommes de l’avenir : Quanto nobis erat melius si essemus succensi et nos cum incendio Sion ; nec enim nos sumus meliores corum qui ibi mortui sunt. Les révoltes juives sous Trajan (117) et sous Adrien (134) répondirent à ce cri enthousiaste. Il fallut l’extermination de Béther pour avoir raison de cette nouvelle génération de révolutionnaires sortie des cendres des héros de 70.
ERNEST RENAN.