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ailes sont les six empereurs. Le second d’entre eux règne si longtemps qu’aucun de ceux qui lui succèdent n’arrive à la moitié du nombre d’années qui lui a été départi. C’est notoirement Auguste, et les six empereurs dont il s’agit sont les six empereurs de la maison des Jules : César[1], Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, maîtres de l’Orient et de l’Occident. Les quatre ailerons ou contre-ailes sont les quatre usurpateurs ou anti-césars : Galba, Othon, Vitellius, Nerva, qui, selon l’auteur, ne doivent pas être considérés comme de vrais empereurs. Le règne des trois premiers anti-césars est une période de troubles, durant laquelle on peut croire que c’en est fait de l’empire; mais l’empire se relève, non cependant tel qu’il était à l’origine. Les trois têtes (les Flavius) représentent ce nouvel empire ressuscité. Ces trois têtes agissent toujours ensemble, innovent beaucoup, dépassent en tyrannie les Jules, mettent le comble aux impiétés de l’empire de l’aigle (par la destruction de Jérusalem) et en marquent la fin. La tête du milieu (Vespasien) est la plus grande; toutes les trois dévorent les ailerons (Galba, Othon, Vitellius) qui aspiraient à régner. La tête du milieu meurt; les deux autres (Titus et Domitien) règnent, mais la tête de droite dévore celle de gauche (allusion évidente à l’opinion populaire sur le fratricide de Domitien)[2]; la tête de droite, après avoir tué l’autre, est tuée à son tour; seule la grande tête meurt dans son lit, mais non sans de cruels tourmens (allusion aux fables rabbiniques sur les maladies par lesquelles Vespasien aurait expié son crime envers la nation juive). C’est alors le tour de la dernière paire d’ailerons (Nerva), usurpateur qui succède à la tête de droite (Domitien), et est avec les Flavius dans la même relation que Galba, Othon, Vitellius, furent avec les Jules. Ce dernier règne est court et plein de troubles; c’est moins un règne qu’un acheminement ménagé par Dieu pour amener la fin des temps. En effet, au bout de quelques instans, selon notre visionnaire, le dernier anti-césar (Nerva) disparaît; le corps de l’aigle prend feu, et toute la terre en est frappée d’étonnement. La fin du monde profane arrive, et le Messie vient accabler l’empire romain de reproches sanglans :

« Tu as régné sur le monde par la terreur et non par la vérité. Tu as écrasé les hommes doux, tu as persécuté les gens paisibles, tu as haï les justes, tu as aimé les menteurs, tu as humilié les murailles de ceux qui ne t’avaient fait aucun mal. Tes violences sont montées jusqu’au trône de l’Éternel, et ton orgueil est venu jusqu’au Tout-Puissant. Le Très-Haut a consulté alors sa table des

  1. On a montré ailleurs (l’Antéchrist, p. 407) que ces supputations apocalyptiques des empereurs romains doivent toujours commencer par Jules César.
  2. C’était une erreur; mais de très bonne heure on y crut.