Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nerva, avant l’adoption de Trajan, par conséquent en l’année 97. Le travail de M. Volkmar est l’un des plus ingénieux de l’exégèse moderne. Les critiques les plus distingués, MM. Colani, Langen, Holtzmann, Keim, Tischendorf, Maurice Vernes, y ont adhéré. Il y a des protestations cependant; M. Hilgenfeld, M. de Gutschmidt, M. l’abbé Le Hir, M. Schürer, ont résisté ou résistent encore. De graves objections peuvent être adressées à l’explication que M. Volkmar a donnée des symboles politiques employés par l’auteur; mais d’autres raisons nous décident. Nous croyons pouvoir montrer, indépendamment de ces symboles, que le livre est postérieur à la mort du dernier Flavius (18 septembre 96) et antérieur à l’avènement de Trajan janvier 98). Il semble que ce fût une loi de la conscience religieuse du peuple juif, à chacune des grandes crises qui déchiraient l’empire romain, d’émettre une de ces compositions allégoriques où il donnait carrière à ses préoccupations d’avenir. La situation de l’an 97 ressemblait à beaucoup d’égards à celle de l’an 68. Les prodiges naturels semblaient redoubler. La chute des Flavius fit presque autant d’impression que la disparition de la maison des Jules. Les Juifs crurent que l’existence de l’empire était de nouveau mise en question. Les deux chutes avaient été précédées de sanglantes folies, et furent suivies de troubles qui firent douter de la vitalité d’un état aussi agité. Durant cette nouvelle éclipse de la puissance romaine, l’imagination des messianistes se remit en campagne: les supputations bizarres sur la fin de l’empire et sur la fin des temps reprirent leur cours.

En même temps que la critique parvenait à fixer la date du livre avec une haute probabilité, la constitution du texte faisait de notables progrès. Ces progrès venaient surtout des versions orientales que l’on découvrait successivement. Comme il est arrivé pour presque toute la littérature apocalyptique juive et judéo-chrétienne, l’original grec de l’Apocalypse d’Esdras n’existe plus; mais, outre la traduction latine, on en possède des versions arabes, éthiopiennes, syriaques, arméniennes. Toutes ces versions sont concordantes entre elles ; d’abord elles montrent avec évidence la mutilation qu’a subie le texte latin entre les versets 35 et 36 du chapitre vu. En outre elles prouvent clairement que ce même texte latin a reçu, au commencement et à la fin, deux additions importantes. Pour avoir la vraie Apocalypse d’Esdras, telle qu’elle fut composée dans les dernières années du Ier siècle, il faut retrancher du texte latin les deux premiers chapitres et les deux derniers. Ainsi dégagé d’additions parasites, le livre a sa parfaite unité. Restait la lacune du chapitre VII, équivalant à quatre ou cinq pages. Une curieuse découverte de M. Bensly, professeur à l’université de Cambridge, est venue la remplir. Tous les manuscrits latins qu’on avait examinés