jamais satisfait, et de toujours aspirer à je ne sais quoi qui n’est jamais atteint. » Ce sentiment pénible n’était pas nouveau chez lui, mais il ne s’était pas encore marqué avec autant de force, et Dickens n’en était plus le maître. « Il est trop tard, ajoutait-il, pour enrayer. Je n’ai de soulagement que dans l’action. Je suis devenu incapable de repos, persuadé que, si je m’épargnais, je me rouillerais, et qu’il ne me resterait plus qu’à éclater et à mourir. Mieux vaut mourir en agissant. Je suis à cet égard ce que m’a fait la nature. Il me faut accepter, puisque c’en est un, le revers des qualités que je puis avoir. » Voilà en partie le secret de cette agitation morale et physique qui condamnait l’écrivain à chercher sans cesse hors de chez lui ce qu’il ne trouvait pas en lui, et le lançait sur les grandes routes. De là aussi ces représentations théâtrales où, suivi de quelques amis, amateurs comme lui de la scène, il aimait à se donner en spectacle, et qui, commencées sous un prétexte de bienfaisance et continuées sans raison, devenaient un passe-temps plein d’excitation, et de danger. L’acteur y recueillait des applaudissemens, mais l’écrivain, rentré chez lui, trouvait son imagination moins docile et sa plume plus revêche. C’est dans les ouvrages qui suivirent David Copperfield que l’effort se fait pour la première fois sentir. Bleak-House, le plus remarquable de tous, si l’on n’envisage que le plan et la conduite de l’intrigue, laisse déjà apercevoir des traces de cette inquiétude, qui devient plus visible à mesure qu’on avance. A proprement parler, le génie créateur n’abandonna jamais Dickens; jusqu’au bout, les personnages sortirent de son cerveau avec la vigueur des premiers jours; mais il ne pouvait plus remplir avec la même certitude qu’autrefois le cadre qu’il s’était tracé. Parfois même la crainte de rester court lui traversait l’esprit. Ce fut bien pis encore lorsque l’idée de lire ses œuvres en public se fut emparée de lui avec une sorte de fatalité. Depuis longtemps, il la caressait; depuis longtemps, ses amis savaient avec quel art et quelle puissance il s’entendait à leur lire les chapitres de ses romans tout frais éclos avant de les communiquer au public. Et d’autre part, dans les nombreux banquets où il était appelé à parler en faveur d’institutions de charité, ses succès d’orateur avaient été grands, si grands même que, s’il l’eût voulu, il eût facilement trouvé place dans ce parlement anglais qui admet tous les genres d’éloquence. Aussi, lorsque le travail de la composition littéraire lui parut de plus en plus pénible, se tourna-t-il tout naturellement du côté où il se sentait attiré.
Il venait à ce moment d’acheter une maison, Gadshill-Place, dans un endroit qui lui était familier depuis son enfance, et il était en train de l’embellir pour en faire sa résidence habituelle, quand il se résolut, malgré les conseils de ses amis, à présenter lui-même