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premiers jours de la république, il prévit qu’elle périrait par les utopies et les utopistes, et il prépara de longue main la restauration qui vient de s’accomplir et qui est en grande partie son ouvrage. Il faut souhaiter qu’il conserve au pouvoir toute sa clairvoyance et ce don précieux des Espagnols, cette sérénité de l’esprit, cette bonne humeur naturelle, que n’effarouchent point les menaces d’une situation embarrassée, et qui, jointe au bon sens, réussit quelquefois à faire facilement des choses difficiles.

Mais quels que puissent être les talens et l’habileté de ses ministres, c’est à l’habileté et aux talens de ses généraux que le roi Alphonse XII doit d’abord faire appel. Il ne régnera véritablement sur l’Espagne que du jour où les lignes de défense, les défilés et les redoutables retranchemens au pied desquels le maréchal Concha a succombé, auront été forcés, du jour où Estella sera prise et où les carlistes, abattus par ce grand coup, en seront réduits à traiter. On avait pu espérer que ce jour était proche. Malheureusement le plan du général Laserna paraît s’être heurté contre des obstacles inattendus. On est parvenu à débloquer, à ravitailler Pampelune, à resserrer les lignes d’opération des carlistes ; mais les corps qui s’avançaient de deux côtés sur Estella se sont vus arrêtés dans leur marche victorieuse. La grande forteresse naturelle que don Carlos tient ou affecte de tenir pour imprenable est encore intacte, l’assaut qu’on annonçait est différé. Après avoir reçu le baptême du feu et charmé les troupes par sa bonne contenance, le roi a quitté le quartier-général pour retourner à Madrid. Les ovations et les empressemens l’accompagnent partout sur sa route. Le vieil Espartero lui a conféré l’ordre de Saint-Ferdinand, dont il est grand-maître, et lui a fait hommage du grand-cordon qu’il a porté dans ses campagnes. Le jeune souverain a été acclamé à Logrono, acclamé à Burgos et à Valladolid. Toutefois il ne doit pas se dissimuler qu’une victoire décisive de ses généraux le mettra seule en état de se faire respecter des partis, qui tiennent leurs regards braqués sur les champs de bataille de la Navarre et de la Biscaye, et dans l’incertitude de l’événement calculent les chances qui leur restent. Le gouvernement le sait ; aussi prend-il ses précautions, il décrète des mesures contre les associations et les individus dangereux ; il vient d’expulser le dernier ministre du roi Amédée, M. Ruiz Zorrilla, aujourd’hui partisan de la république unitaire, et qui doit éprouver quelque orgueil en pensant qu’on le considère comme un danger.

Quand arrivera à Madrid la nouvelle de l’écrasement presque définitif du carlisme, la situation prendra un nouvel aspect, et le trône une assiette plus solide ; mais alors même le roi Alphonse aura toujours à se défendre, partant à se surveiller beaucoup. Il n’a pas le droit de faire des fautes. Il a le bonheur de représenter aujourd’hui en Espagne le seul régime possible et d’être presque nécessaire. Cela n’empêchera pas