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elle-même. Là se trouvaient rassemblés des sommités militaires, le lord-maire, des ministres étrangers. M. de Jarnac a fait les honneurs du banquet avec une spirituelle et chaleureuse éloquence, mêlant dans ses toasts la reine Victoria, le prince de Galles, le maréchal de Mac-Mahon, l’armée et la marine d’Angleterre, évoquant les souvenirs de la confraternité militaire scellée en Crimée. Les réponses sympathiques n’ont point certes manqué, à commencer par celle du lord-maire, qui s’est plu à rendre témoignage du courtois empressement avec lequel il a été récemment fêté à Paris, et qui a représenté cet accueil comme le signe de l’intimité des deux pays. Le lord-maire, en homme d’esprit, soupçonne un peu que les équipages et les costumes ont été pour quelque chose dans le succès qu’il a obtenu à l’inauguration du nouvel Opéra et ailleurs ; toujours est-il que le représentant de la Cité de Londres a envoyé un salut cordial à la cité parisienne.

De toutes ces manifestations, les plus vives, les plus significatives peut-être, sont celles d’un vétéran de l’armée anglaise, le général Cadogan, et du ministre d’Italie, M. Cadorna. Sans doute il ne faut rien exagérer, il ne faut pas se hâter de voir dans les paroles d’un vieux soldat de Crimée l’expression d’une politique, le prélude d’une alliance offensive et défensive pour toutes les circonstances. Du moins cela réconforte un peu d’entendre un ancien compagnon d’armes qui n’oublie pas parler du respect affectueux de l’armée anglaise pour la France dans ses derniers revers, des espérances d’un meilleur avenir. Le général Cadogan est même allé plus loin en déclarant que toutes les sympathies de l’armée anglaise sont avec notre pays dans l’effort qu’il fait pour regagner sa position, en exprimant l’espoir que « l’Angleterre et la France se retrouveront quelque jour côte à côte pour la cause de la civilisation. » Il en sera ce qui pourra, le sentiment du vieux soldat vaut toujours mieux que la politique de M. Gladstone, qui n’a d’ailleurs guère profité au crédit et à l’influence de l’Angleterre. M. Cadorna, quant à lui, a noblement et délicatement saisi l’occasion de rappeler, « comme Italien, » que, si depuis quinze ans « l’Italie a pu passer de l’état de simple expression géographique à l’état de réalité politique et nationale, c’est à l’assistance et à l’amitié de la France qu’elle le doit. » On dit que les Italiens sont oublieux ; ceux qui comptent savent se souvenir, et M. Cadorna s’est plu à rendre hommage, aujourd’hui comme autrefois, au génie de notre pays, à sa puissance d’expansion, au désintéressement avec lequel il s’est si souvent porté au secours des causes en détresse, — « même quelquefois à ses propres dépens. » Pauvre France ! elle n’est pas pour le moment fêtée dans tous les banquets du monde ; elle a du moins la bonne fortune de vivre dans des mémoires fidèles, d’être quelquefois mieux jugée par des étrangers que par des Français, et c’est l’honneur de notre diplomatie, partout où elle est, de réchauffer ces