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de ne point oublier celui dont il a recueilli l’héritage littéraire. Le nouveau récipiendaire a fait entrer son père avec lui non pas, comme on le disait, à titre de reproche et d’une manière offensante pour l’Académie, mais avec autant d’habileté que de délicatesse, en s’abritant modestement sous la renommée paternelle. Le discours de M. Alexandre Dumas a été brillamment encadré entre ce souvenir filial et un portrait fièrement tracé de l’aimable homme de talent auquel il succède, M. Pierre Lebrun, de son vivant poète lauréat du premier empire, auteur de Marie Stuart et du Cid d’Andalousie, pair de France sous la monarchie de juillet, sénateur sous le second empire, galant homme sous tous les régimes. Après cela, il est bien certain qu’entre ce commencement et cette fin le nouveau récipiendaire a pu s’égarer quelquefois et intéresser ou amuser l’Académie sans la convaincre. Il n’a pas parlé seulement de son père et de M. Lebrun ; il a parlé de tout et de tous, de l’empire et de Louis XVIII, du cardinal de Richelieu et de M. de Talleyrand ; il a parlé d’histoire, de philosophie, de morale, d’art dramatique. Le ton n’est point assurément toujours juste. En vérité, M. Alexandre Dumas a prolongé un peu trop la plaisanterie au sujet de la pension de M. Lebrun, supprimée par la restauration. Il s’est cru un peu trop au Gymnase en faisant dialoguer le cardinal de Richelieu et Corneille au sujet de la signification politique du Cid. Enfin, là même où il est le plus compétent, il a mis une complaisance un peu trop surabondante à développer ses idées favorites sur l’art dramatique, sur la mission morale et sociale du théâtre. M. Alexandre Dumas a voulu aussi faire entrer ses préfaces à l’Académie.

Les hommes d’esprit qui se font laborieusement un système semblent ne pas se douter qu’ils n’intéressent guère par leur système, que ce n’est qu’à force de talent qu’ils font oublier quelquefois ce qu’il y a de faux ou d’artificiel dans leur prétendue philosophie, que pour eux la meilleure manière de gagner des victoires, c’est de faire des œuvres vraies et émouvantes ou amusantes. Toutes ces quintessences, toutes ces théories sur les femmes et sur la morale, M. d’Haussonville les a dissipées avec la plus parfaite bonne grâce, avec la plus agréable supériorité de raison et de critique. Aimable, gracieusement railleur, spirituellement sensé, M. d’Haussonville n’a enlevé à l’auteur de la Dame aux Camélias ni ses qualités ni son talent ; il ne l’a dépouillé que de ses prétentions de moraliste et de législateur en nous ramenant à la vérité, au bon sens, à la simplicité des choses humaines. Homme du monde, il a montré ce que c’est que le vrai monde ; historien, il a remis un peu d’ordre dans l’histoire sans insister plus que ne le voulait la circonstance ; esprit éclairé et cultivé, il a plaidé la cause du goût dans l’art comme il avait plaidé la cause de la bonne et simple morale dans la vie de tous les jours. Il a courtoisement traité M. Alexandre