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successivement celles du Cher, de l’Allier, et enfin celle de la Haute-Loire ; elles s’écoulent l’une après l’autre au lieu de s’ajouter. Retarder par un artifice la marche de l’une de ces crues sans avoir la certitude de la retenir tout entière, puisque après tout nul ne sait prévoir combien de temps durera la pluie et que les réservoirs peuvent se trouver insuffisans, c’est amener une coïncidence que la nature abandonnée à elle-même eût peut-être évitée. Nous abusons-nous ? Il nous semble que ces critiques perdent beaucoup de leur valeur par le progrès des méthodes météorologiques. M. Belgrand n’a-t-il pas lui-même indiqué le moyen de prédire plusieurs jours d’avance et à quelques centimètres près ce que doit être une crue de la Seine à Paris ? Que lui faut-il pour arriver à ce résultat ? Quelques observateurs bien formés, avec de bons instrumens, en huit ou dix points du bassin. Le véritable obstacle à la création d’un vaste système de réservoirs réside surtout, croyons-nous, dans l’énormité de la dépense. C’est une œuvre d’avenir qui se réalisera plus tard, lorsque les intéressés en auront compris l’importance et se montreront tous disposés à y concourir.

En attendant, les riverains d’un cours d’eau torrentiel n’ont d’autre protection que les digues longitudinales. On sait ce que sont celles de la Loire, œuvre malheureuse que nous a léguée le moyen âge et qu’il faut bien conserver, améliorer même, faute de pouvoir la recommencer sur un plan plus rationnel. Dans la vallée du Pô, les digues laissent entre elles un vaste lit abandonné aux crues, qui est devenu, grâce au limon bienfaisant qu’elles déposent, la partie la plus fertile du bassin. Sur les bords de la Loire, on a voulu dès les premiers temps préserver des inondations les terres rapprochées du fleuve, les turcies ou levées furent donc établies près des berges. Cela remonte fort loin, puisqu’un capitulaire de Louis le Débonnaire charge des commissaires spéciaux de les entretenir et de les allonger. Construites comme elles l’étaient, il fallait chaque année les renforcer ou combler les brèches que l’eau y avait faites. Peu à peu elles s’étendirent de Gien à Angers presque sans interruption, et même au-dessus de Gien, jusqu’à Decize sur la Loire et Vichy sur l’Allier. Ce qu’ont coûté ces ouvrages en frais d’établissement et d’entretien, il serait difficile de le dire, d’autant plus que c’était le plus souvent par des exemptions d’impôts que les riverains étaient rémunérés de leur travail dans l’ancien temps. En l’état actuel, les habitans du val de la Loire n’obtiennent même plus la sécurité au prix de cette organisation onéreuse. Cependant, comme des villages se sont créés en arrière de ces digues, on ne peut faire autrement que de les conserver, bien qu’elles aient troublé profondément le