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On a déjà dit dans la Revue[1] quel projet d’aménagement avait proposé M. Belgrand pour mettre en œuvre une partie au moins des 1, 620 millions de mètres cubes d’eau pluviale que reçoit année commune la surface du Morvan. Il n’a été construit jusqu’à ce jour qu’un seul réservoir, celui des Settons sur la Cure ; encore la vallée de la Cure est-elle si étroite et si stérile qu’il ne s’y trouve ni cultivateurs ni meuniers pour en tirer profit. Ce réservoir avait pour objet d’accroître le volume des éclusées de l’Yonne, dont la canalisation, on l’a vu, s’exécute maintenant au moyen de barrages mobiles. Le bel ouvrage des Settons n’a plus ainsi qu’une médiocre utilité.

C’est dans les contrées du midi que l’on dut sentir le plus tôt le besoin d’emmagasiner les eaux courantes pour irriguer des terres que desséchait un soleil trop ardent. L’Espagne, pays de montagnes où les ruisseaux sont presque tous des torrens, connut ces travaux avant le reste de l’Europe ; le barrage d’Alicante, construit au XVIe siècle, existe encore aujourd’hui ; c’est un mur en maçonnerie qui n’a pas moins de 42 mètres de haut. En 1788, le gouvernement espagnol avait projeté d’établir un réservoir sur le Guadarrama en vue d’alimenter d’eaux potables la ville de Madrid. Le mur qui barrait la vallée devait avoir 72 mètres d’épaisseur à la base et 93 mètres de hauteur ; mais il fut emporté par une crue avant d’être achevé, et l’on n’eut pas le courage de recommencer l’entreprise. C’est que des œuvres de ce genre, bien qu’il ne s’agisse que de maçonnerie brute, exigent toute la science de l’ingénieur ; il faut en calculer les dimensions afin que la pression n’excède nulle part la résistance des matériaux, jauger le cours d’eau pour savoir quel volume de liquide il fournira durant la saison pluvieuse, choisir les emplacemens d’après des circonstances qui varient en chaque lieu. Les réservoirs établis en France dans ces dernières années méritent d’attirer l’attention à ces divers points de vue.

La ville de Saint-Etienne est traversée par un ruisseau, le Furens, dont le nom expressif indique assez l’allure torrentielle ; en étiage, il s’abaisse parfois à ne donner que 80 litres par seconde ; en 1849, après une pluie exceptionnelle, le débit s’est élevé à 93 mètres cubes ; il n’en faut pas tant pour que la ville soit inondée. Ce n’est pas tout. Les 100,000 habitans de Saint-Étienne réclamaient une distribution d’eau, enfin nombre d’usines établies sûr le Furens se plaignaient d’être condamnées au chômage pendant la saison sèche. En amont, au-dessus du village de Rochetaillée, se présente un étroit défilé ; c’est là que se dresse le mur du réservoir construit il y a dix ans sur les plans de M. Graeff, ingénieur des ponts et

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1873, le Bassin de la Seine.