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d’endiguement dont la nécessité n’était pas absolue. Les débats très vifs que cette question a soulevés entre les habitans de Rouen et ceux du Havre se reproduisent avec les mêmes raisons d’être en d’autres localités. C’est la lutte entre Nantes et Saint-Nazaire, entre Greenock et Glasgow. Les ingénieurs ne peuvent en pareil cas qu’indiquer une solution, — encore n’en garantissent-ils pas toujours l’efficacité, — faire connaître les avantages et les inconvéniens ; il appartient ensuite à ceux qui disposent des ressources du budget de peser les intérêts en balance et de prendre une décision.

Bordeaux est situé, comme Rouen, bien loin à l’intérieur d’un fleuve où la marée se fait sentir ; il y a une centaine de kilomètres de cette ville à la pointe de Grave. En l’état naturel, la Garonne maritime possédait presque partout un mouillage de 4 à 5 mètres, sauf sur des hauts-fonds que les navires de fort tonnage ne pouvaient franchir qu’au moment de la pleine mer. A quelles causes étaient dus ces hauts-fonds ? A la largeur exagérée du lit, à la divagation du chenal navigable, qui passait d’une rive à l’autre, à l’existence d’îles nombreuses qui empêchaient les courans de flot et de jusant de s’écouler par le même bras. Le remède semblait indiqué par la nature même des choses. Il suffisait de rétrécir le lit lorsqu’il avait trop de largeur et de barrer par des digues les bras secondaires. C’est ce que l’on a exécuté avec un succès remarquable et d’assez faibles dépenses. En 1832, l’illustre ingénieur Deschamps, le constructeur du pont de Bordeaux, proposait d’ouvrir dans la vallée de la Seudre un canal latéral dont la dépense aurait dépassé 50 millions. Avec 3 millions au plus, la Garonne a été redressée et approfondie si bien que les grands paquebots transatlantiques de la ligne du Brésil remontent jusqu’à leur port d’attache sans être jamais arrêtés par l’état des passes.

La Loire encore est un fleuve à marées, d’une navigation si pénible pour les gros bâtimens qu’il parut à une époque récente que Saint-Nazaire devait absorber tout le mouvement commercial dont Nantes avait profité jusqu’alors. Observons en passant que sur ces larges estuaires par lesquels les fleuves entrent dans l’océan la situation d’un port n’est pas indifférente. Ce port est le terminus de la navigation maritime ; c’est là que les navires de mer livrent leurs cargaisons aux wagons de chemins de fer, aux voitures, aux bateaux de la navigation intérieure. Routes et chemins de fer se prolongent jusqu’à Paimbœuf ou Saint-Nazaire aussi bien que jusqu’à Nantes ; pour les bateaux plats de rivière, le cas est différent, on ne saurait sans péril les conduire à Saint-Nazaire, et puis à l’embouchure il n’y a pas de communication prompte et commode entre les deux rives. L’allongement de la traversée est une affaire