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I

En moins de quarante ans, la France a construit environ 18,000 kilomètres de chemins de fer, avec une dépense de 8 milliards ; depuis 1814, elle n’a guère consacré, année moyenne, qu’une quinzaine de millions à l’établissement des canaux et à l’amélioration des rivières navigables. Il y a même une distinction à faire entre ces deux sortes de travaux. Le budget, qui ne donnait plus que 3 millions par an à la construction des canaux dans les dernières années du second empire, leur avait toujours fourni 15 millions au moins sous la monarchie de juillet ; aussi nos principales lignes de navigation intérieure datent-elles presque toutes du règne de Louis-Philippe, ce que l’on a fait depuis ayant consisté surtout en améliorations et parachèvemens. Au contraire les fleuves et les rivières, qui étaient dotés de 7 millions avant 1848, ont vu leur part grandir d’année en année et arriver au double en 1870. C’est que les travaux hydrauliques de ce genre n’avaient pas pour but unique de favoriser la batellerie ; outre que la navigation maritime qui s’opère aux embouchures en ressent l’influence, ils devaient surtout, dans la pensée du souverain, remédier aux désastreux effets des inondations périodiques. Les ingénieurs ne se faisaient guère illusion sur ce dernier point ; ils savaient que les crues sont des fléaux inévitables qu’il faut subir, ne pouvant les empêcher, et dont on réussit tout au plus à préserver les villes par des digues insubmersibles ; mais en endiguant les rivières, en en fixant le lit par des rives bien protégées, en réglant de leur mieux la pente des eaux, en emmagasinant dans des bassins aux jours d’abondance une réserve que l’on laisse aller dans les jours d’étiage, ils favorisaient à la fois les mariniers, les agriculteurs et les propriétaires d’usines hydrauliques, qui ont tous intérêt à trouver un cours régulier en place d’une rivière torrentielle. Les ouvrages exécutés dans ce dessein sur l’Yonne, sur la Seine et ailleurs doivent compter parmi les plus beaux de l’art des ingénieurs. Jamais en effet la nature n’offrit a l’homme des obstacles plus redoutables. Pour bien s’en rendre compte, il convient d’observer d’abord le régime d’un cours d’eau depuis les montagnes où il prend naissance par la réunion de quelques sources modestes jusqu’à son embouchure, où il déverse dans la mer, contre vents et marée, une masse liquide grossie en route d’innombrables affluens. Il ne vaudrait rien de prendre pour type de cette étude un torrent tel que la Durance, que l’on désespère d’assouplir jamais à la navigation, tant la pente en est forte et le volume des eaux inconstant, ou, pour