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Ils sont rares, ceux de ces petits émigrés qui ne se félicitent pas de leur nouvelle situation, et qui reviennent à New-York chercher derechef les aventures. La Société protectrice ne perd pas les siens de vue, et entretient pour veiller sur eux un agent dans l’ouest. D’autres agens prennent les enfans à New-York et les accompagnent par brigades de plusieurs centaines à la fois jusqu’à leur destination définitive. On obtient des compagnies de chemins de fer et de bateaux à vapeur des réductions sur les prix de parcours. La nichée s’envole joyeuse, bruyante, ouvrant curieusement les yeux à tant de choses nouvelles et charmée de commencer une seconde vie. C’est le salut qui s’ouvre pour eux ; ils le comprennent, et le plus grand nombre le méritent.

Une fois installés, les enfans ont, avec l’agent à demeure, les principaux membres de la Société protectrice et les directeurs des logis et des écoles qu’ils fréquentaient à New-York, une correspondance suivie. Quelques-unes de leurs lettres sont touchantes. A chaque ligne éclate la joie, le contentement de ces jeunes travailleurs des champs ; un changement moral absolu s’est fait en eux. Ils vivent, ils sont élevés dans leur famille d’adoption, s’assoient à la même table, vont à l’école et à l’église dans la même carriole que les enfans du fermier. Plus d’un fait de notables économies sur ses gages, acquiert un petit lopin, le cultive pour son compte, arrive à une modeste aisance. Cet autre pousse plus loin son éducation, fréquente un collège, fait de fortes lectures, passe ses examens, choisit une profession libérale. Celui-ci sera envoyé quelque jour à la législature de son état ; parti du plus bas degré des conditions humaines, il sera monté à l’un des plus hauts. Tous demandent des nouvelles de leurs parens, de leurs amis. « Pouvez-vous savoir où est ma mère, ce qu’elle est devenue ? s’écrie l’un d’eux, si je pouvais seulement la voir ! » Cet autre a acheté à terme une terre au fond de l’Illinois ; il la paiera de son travail. « J’ai une faveur à vous demander, écrit-il à ses protecteurs de New-York : il y a une jeune fille qui voudrait venir ici le mois prochain ; elle n’a pas les moyens de le faire, et je n’ai pas ceux d’aller la chercher. Si vous pouviez l’envoyer ici, je vous rembourserais plus tard les frais de son voyage. Aussi bien il faut que je sois franc avec vous : c’est ma fiancée, je lui ai promis de l’épouser. Maintenant que vous savez tout, faites cela pour moi, vous me rendrez un bien grand service. »

L’agent fixé dans l’ouest visite de temps en temps ses recommandés. Il est reçu à bras ouverts. Les parens adoptifs lui font des confidences : « Henry ne manquera de rien, c’est notre enfant, je l’ai porté sur mon testament, et puis il est si bon travailleur que je lui ai fait cadeau de 30 hectares de terre. » Quelquefois cependant l’agent