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revenait à ses rêves d’autrefois, il se croyait poète, il rimait une tragédie, et, s’il avait eu des nouvelles de France, il aurait supporté sans trop d’ennuis cette froide prison du pôle. Ce séjour à Vologda ne dura pas moins de quatre mois et demi. Au commencement du mois de juillet 1807, Ségur apprit enfin la victoire remportée par Napoléon à Friedland le 14 juin, la conclusion de la paix et l’alliance de la France avec la Russie. Quelques jours après, il était libre.

Pendant ces dures épreuves, du 24 décembre 1806 au mois de juillet 1807, de la forêt de Nasielsk aux glaces de Vologda, une pensée si amère obsédait son esprit, qu’il en était venu plusieurs fois à souhaiter la mort. Il craignait d’être blâmé par l’empereur pour s’être ainsi laissé prendre, il craignait qu’on ne l’accusât d’une folle imprudence, d’une témérité ridicule ; il craignait surtout que son livret d’ordre, où la situation de l’armée était inscrite, n’eût été remis à quelque chef par les Kalmouks qui l’avaient dépouillé. Or, à l’heure même où Ségur concevait ces craintes qui le tourmentèrent si longtemps, l’empereur, dans le bulletin du 30 décembre 1806, rendait un éclatant hommage à sa valeur et rassurait l’armée sur son sort. Bien plus, il voulut rassurer directement son père, le brillant comte de Ségur, l’ancien ambassadeur de Louis XVI auprès de Catherine II, et le prier de rassurer la jeune femme de l’intrépide officier. Voici ce qu’il lui écrivait de Pultusk le 31 décembre 1806, dans une lettre conservée aux Archives nationales :

« M. de Ségur, votre fils a été fait prisonnier par les Cosaques ; il en a tué deux de sa main avant de se rendre et n’a été que très légèrement blessé. Je l’ai fait réclamer ; mais ces messieurs l’ont fait sur-le-champ partir pour Saint-Pétersbourg, où il aura le plaisir de faire sa cour à l’empereur. Il vous sera facile de faire comprendre à M, ne de Ségur que cet événement n’a rien de désagréable et ne doit l’alarmer en rien. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

« A Pultusk, le 31 décembre 1806.

« NAPOLEON. »


Il y a là, ce me semble, autre chose qu’une mâle estime pour l’intrépidité d’un soldat, il y a l’accent d’une affection secrète. Maintenant franchissons une année et demie, transportons-nous des glaces du pôle sous le ciel de l’Espagne, dans cette Espagne où vont commencer les fautes de l’empereur et les désastres de l’empire ; laissons de côté bien des incidens, bien des scènes dramatiques, la scène d’Aranda, la scène de Burgos ; allons droit au champ