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détails curieux n’y manquent pas. L’épisode est secondaire dans cette vie si pleine, et nous avons à peine le loisir d’effleurer les grandes choses. Ce fut d’ailleurs une course d’état-major beaucoup plus qu’un voyage, course à bride abattue, car le jeune lieutenant, qui connaissait bien les exigences de son chef, avait déjà pour programme : faire vite et bien. Il connaissait aussi sa générosité, puisqu’à son retour d’Espagne, cherchant à occuper ses loisirs, il publia son récit de la campagne des Grisons, où les glorieuses actions de Macdonald étaient célébrées avec enthousiasme. Cependant les préventions et les défiances n’avaient pas entièrement disparu de l’esprit de Ségur. Dévoué au premier consul, il n’éprouvait pas les mêmes sentimens pour le dictateur qui de jour en jour préparait sa souveraineté. M. Victor Hugo l’a dit en des vers que réclame l’histoire :

Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul déjà par maint endroit
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.


En voyant éclater ce masque, ceux-là même que la grandeur du consulat avait frappés d’éblouissement revenaient à des pensées hostiles. Pourquoi Bonaparte, après avoir refusé avec dédain le château de Saint-Cloud comme don public et propriété privée, ordonnait-il de le restaurer comme propriété nationale ? pourquoi cette dépense de 6 millions qu’il venait d’y faire ? pourquoi cet empressement à y établir sa résidence ? On ne pouvait s’accoutumer à ces prises de possession des demeures royales. Ségur le dit expressément : « le nom sonore de république, sous la dictature du génie, convenait à nos imaginations. » Il ajoute que ces sentimens, esprit d’indépendance et fierté chez le plus grand nombre, se compliquaient chez lui de ses souvenirs de race, trop directement blessés par ces préliminaires d’usurpation. S’il avait renoncé aux idées de l’aristocratie, c’était pour se rallier à la nation française ; il lui répugnait de paraître abandonner la cause de tous pour prendre le parti d’un seul. Il en était là quand le 27 octobre 1802, trois mois après son retour d’Espagne, il reçut l’ordre de se rendre le lendemain au château de Saint-Cloud. « Je ne sais, dit-il, comment j’appris que c’est pour être attaché à l’état-major particulier du premier consul, mais je me souviens bien que mon premier mouvement fut d’hésiter à obéir. Quoi qu’il en soit de cette jactance à la fois royaliste et républicaine, le fait est que, mon père aidant, je me trouvai le lendemain à l’heure dite à Saint-Cloud dans la galerie de Mars, où Duroc me présenta à Bonaparte. » Il senti là qu’il s’était bien donné tout entier dans le cabinet de la Malmaison et qu’il avait bien vainement essayé de se reprendre. Quelques mots