on reconnaît des hommes résolus à vaincre. « A cet aspect, dit le narrateur de la scène que nous résumons, le sang guerrier que j’avais reçu de mes pères bouillonna dans toutes mes veines. Ma vocation venait de se décider ; dès ce moment, je fus soldat, je ne rêvai que combats, et je méprisai toute autre carrière. »
Quel était donc ce jeune homme qui prenait feu si vite et en de telles circonstances ? C’était un esprit timide, mélancolique, une âme inquiète qui, n’ayant pas trouvé sa voie, s’abandonnait à toutes les chimères de son imagination. Lui-même, avec un accent qui révèle un lecteur passionné de Jean-Jacques Rousseau, il a raconté quels étaient ses transports lorsque, venant de Chatenay à Paris, il prenait le plus long pour éviter toute rencontre, évitait les grandes routes, suivait les sentiers, et là, voyageur au pays des songes, vivait deux heures durant au milieu d’éblouissantes aventures. Malheureusement la barrière du Maine était la borne où ces illusions se brisaient. Le grand triomphateur devenait le plus modeste des piétons. Le moindre incident lui était un obstacle. Un charretier brutal à éviter, un commis soupçonneux à dépister, autant d’affaires épineuses pour celui qui tout à l’heure montait d’un vol si rapide au sommet des carrières les plus hautes, et, comme dit Saint-Simon, s’asseyait sur l’arc-en-ciel. Tombé ainsi des nues, il s’estimait trop heureux si quelque embarras de voitures, lui permettant de se faufiler, le dispensait de montrer son passeport aux gardiens de la barrière, cérémonie toujours désagréable et quelquefois dangereuse pour un ex-noble.
Le jeune rêveur en effet, à la date où commencent les grands événemens de son récit, était un ex-noble, comme on disait alors et comme il le répète le plus naturellement du monde. Il était fils du comte de Ségur, ancien ambassadeur du roi Louis XVI à la cour de Catherine II, et petit-fils du marquis de Ségur, un des soldats de Raucoux, de Lawfeld, un des héros de Clostercamp, plus tard ministre de la guerre et maréchal de France sous Louis XVI. C’était bien, comme il dit, le sang d’une race guerrière qui bouillonna dans ses veines le 9 novembre 1799 ; le père et le grand-père de son aïeul le maréchal avaient été aussi de vaillans chefs, le premier dans les guerres de Louis XIV, le second à côté de Maurice de Saxe.
Comment s’étonner de ce réveil du sang ? On serait tenté plutôt de le trouver un peu tardif, si le caractère du jeune songeur et les circonstances générales n’expliquaient trop bien ce retard. Il avait douze ans quand la terreur commença. Ses parens, ruinés et proscrits, s’étaient retirés dans une modeste habitation du village de Chatenay. Les maîtres qui avaient jusque-là dirigé son enfance ne restèrent pas longtemps dans cette maison menacée ; le jeune Philippe de Ségur n’eut bientôt d’autre instituteur que son père,