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tours assez comiques et triche même au jeu, on se sent à la longue pénétré de je ne sais quelle odeur de sépulcre et d’embaumement. L’Égypte hiératique et superstitieuse des basses époques, obsédée d’hallucinations mystiques et de rêves terribles, l’Égypte affaiblie et comme minée par la fièvre des spéculations surnaturelles, des pratiques théurgiques et des opérations magiques, revit tout entière dans ces fragmens de papyrus. Ce n’est plus l’Égypte de l’ancien empire, heureuse et souriante sous son ciel bleu, couverte d’épis mûrs et de villes populeuses : c’est Kemi, « le noir pays, » au sens où l’aurait entendu l’esprit subtil et faux d’un Jamblique, la terre des morts et des épouvantemens. Cette fantaisie funéraire est d’un bien autre effet sur des âmes modernes, nourries de Shakspeare, que le conte des Deux Frères. L’inaltérable douceur de ces Égyptiens est la chose du monde la plus poignante : ils passent comme dans un rêve, silencieux et sourians d’un étrange sourire, l’œil rempli de clartés mystérieuses.

Les deux premières pages du papyrus n’ont pas été retrouvées. Ahura, sœur et épouse de Ptahneferka, raconte au prince Setna l’histoire de son mariage et des événemens qui l’ont suivi.

L’heure vint de commencer les réjouissances devant le roi. Voici qu’on alla me chercher. J’étais très parée. Le roi ne me dit-il pas : « Ahura, ce n’est pas toi qui les a envoyés près de moi pour dire : Je voudrais me marier avec le fils d’un grand personnage ? » Je lui dis : « Je voudrais me marier avec le fils d’un chef de troupes. Il voudrait se marier avec la fille d’un autre chef de troupes, comme c’est l’usage dans notre famille depuis longtemps. » Je ris. Le roi rit. Alors le roi ordonna au majordome : « Que l’on conduise Ahura à la maison de Ptahneferka pendant la nuit et qu’on y apporte toute espèce de bonnes choses. » On fit mon mariage dans la maison de Ptahneferka ; on m’apporta des cadeaux en argent, en or et en habits de byssus. Ptahneferka fit un heureux jour avec moi. Le temps de mon accouchement arriva, et je mis au monde ce fils qui est devant toi et qu’on nomma du nom de Merhu. On le fit inscrire dans le registre de la maison des hiérogrammates. Ptahneferka, mon frère, restait sur la terre ; étant allé à la nécropole de Memphis, il lut les écritures qui sont dans les tombeaux des rois et les stèles en caractères hiéroglyphiques, car il était très savant ; il allait au temple faire sa prière, et lisait les inscriptions des chapelles des dieux lorsqu’il rencontra un prêtre. Le prêtre rit. « Pourquoi te ris-tu de moi ? » lui demanda Ptahneferka. « Si tu désires lire un écrit, fit le prêtre, viens avec moi. Je te conduirai à l’endroit où se trouve le livre que le dieu Thoth a écrit de sa main. Deux pages de l’écrit, si tu les récites, tu pourras charmer le ciel, la terre, l’abîme, les montagnes,