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semences. » Le cadet trouva la femme de son frère assise à se peigner. Il lui dit : « Debout ! et donne-moi des semences, que je retourne aux champs. » Elle lui dit : « Va, ouvre le grenier, prends toi-même ce qui te plaira, de peur que ma coiffure ne se défasse en chemin. » Le jeune homme prit une grande jarre, la chargea de blé et d’orge, et sortit sous le faix. La jeune femme lui dit : « Combien de choses as-tu sur l’épaule ? » Il lui dit : « Trois mesures d’orge, deux de blé, en tout cinq mesures, voilà ce que j’ai sur mon épaule. — Quelle est donc la force qui est en toi ? fit-elle. Or j’ai vu ta vigueur chaque jour. » Elle se leva, le saisit et lui dit : « Viens, reposons ensemble une heure durant. Pare-toi, je vais te donner de beaux vêtemens. » Le jeune homme entra en furie comme une panthère du midi, et elle fut remplie de crainte. « Mais tu es pour moi comme une mère ! mais ton mari est pour moi comme un père ! Il est mon aîné, et c’est lui qui me fait exister. Oh ! la chose abominable que tu m’as dite, ne me la répète plus ! Moi, de mon côté, je ne la répéterai à personne et je ne la ferai pas courir dans la bouche des gens. » Il reprit sa jarre et s’en fut aux champs.

Cependant la femme fut effrayée des paroles qu’elle avait dites ; elle se mit dans l’état d’une personne à qui un malfaiteur a fait violence, afin de pouvoir dire le soir à son mari : « C’est ton frère qui m’a fait violence. » Le frère aîné, en arrivant à sa maison, trouva sa femme étendue à terre, toute souillée, dans les ténèbres ; elle ne lui versa point de l’eau sur les mains, ne plaça point de lampe devant lui. « Qui donc a parlé avec toi ? — Personne, si ce n’est ton frère. Lorsqu’il vint pour t’apporter des semences, il me trouva assise toute seule et me dit : « Viens, reposons ensemble une heure durant ; pare ta chevelure. » Il me parla ainsi ; mais moi je ne l’écoutai point. « Ne suis-je pas ta mère ? et ton frère aîné n’est-il pas un père pour toi ? » Voilà ce que je lui dis. Lui, il fut saisi de crainte, il me battit afin que je ne te fisse point de rapport. Or, s’il vit, je suis morte. Vois, lorsqu’il viendra ce soir, il me tuera. » Le frère aîné devint comme une panthère du midi, aiguisa son couteau et se tint derrière la porte de l’étable.

Quand le soleil fut couché, et que le cadet, chargé de toutes les herbes des champs, ramena son troupeau à la maison, la vache qui marchait en tête, à l’entrée de l’étable, dit à son gardien : « Attention ! ton frère aîné se tient devant toi, avec son couteau pour te tuer. Sauve-toi. » Une seconde vache lui parla comme la première. Il regarda dessous la porte de l’étable, vit les pieds de son frère, qui se tenait derrière, le couteau à la main, posa son fardeau sur le sol et se mit à courir. Le frère aîné le suivit. « O mon bon maître ! cria le cadet en invoquant le dieu Soleil, tu es celui qui distingue le