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morale toute pratique et sans visées idéales, qui nous a été conservée dans les Maximes de Ptahhotep, contenues au papyrus Prisse, « le plus ancien livre du monde, » et dans celles du scribe Ani. Après MM. de Rougé, Brugsch et Maspero, mais en reprenant en sous-œuvre la traduction et le commentaire de ce dernier livre, M. Chabas étudie avec sa profonde connaissance de la langue égyptienne ce précieux recueil de maximes sur la religion, la sagesse et le savoir-vivre, adressées par Ani à son fils Khonshotep[1]. En racontant l’Épisode du Jardin des fleurs, nous citerons une sentence fort piquante du vieux scribe sur une classe de femmes dont parlent presque dans les mêmes termes les Proverbes de Salomon. Certain chapitre du Livre des morts, dont les défunts avaient sous leurs bandelettes ou dans la boîte à momie un exemplaire plus ou moins complet, renferme une morale plus relevée, et telle, dirais-je avec MM. Chabas et Brugsch, qu’elle ne le cède en rien aux doctrines chrétiennes. Les idées d’amour et de charité envers le prochain apparaissent déjà dans la fameuse apologie ou confession négative du défunt devant le tribunal d’Osiris et le jury infernal. Le mort ne se défend pas seulement, entre autres choses, de n’avoir ni altéré les mesures de grain, ni pesé à faux poids, ni tourmenté la veuve, ni surchargé de travaux ses esclaves, ni distrait les offrandes ou les gâteaux des dieux, ni pris dans ses filets les oiseaux divins ou les poissons sacrés : il soutient qu’il n’a ni menti, ni commis l’iniquité, qu’il est pur. « Accordez au défunt de venir à vous… Il a semé partout la joie ; ce qu’il a fait, les hommes en parlent et les dieux s’en réjouissent. Il s’est concilié Dieu par son amour, il a donné des pains à l’affamé, de l’eau à l’altéré, des vêtemens au nu, il a donné une barque à qui était arrêté dans son voyage. »

Avec les siècles, il semble que la mort fût devenue moins facile : la tristesse et le doute envahirent certaines âmes. A l’éveil de la raison, les joies des élus s’évanouirent comme un songe. L’amère expérience des choses, le lent travail de la réflexion, l’universelle caducité qui atteint les dieux eux-mêmes avant le calcaire et le granit de leurs sanctuaires, avaient rendu pensifs les lointains descendans des vieux pères de la race. Ce monde, si mauvais qu’il fût, paraissait encore préférable au pays silencieux des ombres. Avec la foi des jours antiques, l’homme perd toute fraîcheur d’imagination, mais trouve une grande douceur en son désenchantement même : une poésie nouvelle, intime et familière, se dégage de toutes les choses qu’il avait dédaignées, une vie abondante et facile, des sens

  1. Chabas, l’Egyptologie, journal mensuel publié à Chalon-sur-Saône.