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III

Le milieu dans lequel Laurent fut élevé était particulièrement favorable au développement de son esprit, à la formation de son goût. Partout en Italie, princes et peuples rivalisaient d’enthousiasme pour les monumens de l’antiquité, et favorisaient à l’envi les architectes, les sculpteurs et les peintres ; mais c’est à Florence surtout que ces tendances étaient le plus accentuées. La république rendait aux savans des hommages solennels et leur accordait souvent le titre de citoyen. A côté de la seigneurie, les familles riches ou puissantes exerçaient un patronage fécond et s’associaient sans réserve au mouvement intellectuel. Cette bourgeoisie florentine, tout à la fois si pratique et si intelligente, consacrait à l’étude ses loisirs, et à l’art les trésors que le commerce lui avait procurés. Malgré les préoccupations des affaires privées ou publiques, on se pressait avec passion autour des professeurs qui commentaient les écrivains de la Grèce et de Rome, et l’on regardait la découverte d’un manuscrit comme un événement national. Au souvenir des érudits les plus distingués et des artistes les plus fameux se rattache celui de Côme, leur protecteur et leur ami. Côme fut en effet un des plus zélés promoteurs de la renaissance. Pierre, fils de Côme, transmit à Laurent ce goût éclairé pour les choses de l’esprit. L’influence de l’aïeul sur le petit-fils fut du reste considérable, car celui-ci avait déjà quinze ans lorsque Côme mourut.

Sous la haute direction de Gentile Becchi, d’Urbin, qui fut chanoine à Florence, scripteur à Rome et évêque d’Arezzo, Laurent suivit les leçons d’Argiropoulo pour le grec, de Cristoforo Landino pour la poésie, de Marsile Ficin pour la philosophie. D’un esprit facile et ouvert, il s’assimila tous les enseignemens, toutes les lectures, et s’éprit de toutes les formes du beau. Quoique les tournois et les fêtes le séduisissent habituellement, les dissertations savantes ou philosophiques semblaient l’intéresser davantage encore, et il y brillait malgré sa jeunesse. L’amour de ces discussions était alors très répandu. On s’y livrait jusque dans les excursions à la campagne, dans les solitudes voisines des monastères. Laurent n’avait guère que vingt ans lorsqu’il alla passer plusieurs jours aux Camaldules avec son frère Julien et plusieurs lettrés de leurs amis, parmi lesquels se trouvait le célèbre architecte Léon-Baptiste Alberti. La messe entendue, l’on gravit les pentes boisées de la montagne et l’on s’assit auprès d’une source, à l’ombre d’un hêtre. La vie active et la vie contemplative furent le sujet d’un long entretien où Laurent démontra qu’elles ne devaient pas s’exclure et qu’il fallait allier aux salutaires méditations qu’inspire la solitude l’accomplissement