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à les voir courir pieds nus le long de Broadway et des principaux squares et avenues. Ils crient leurs journaux aux passans, à la portière des omnibus, ou, à peine descendus d’un car, remontent immédiatement dans un autre. Il faut qu’ils aient commis une bien grosse peccadille pour que la police paternelle les arrête.

D’autres enfans se livrent à une industrie pour eux presque aussi lucrative, celle de cirer les bottes. Aux États-Unis, les domestiques ne font pas de bonne grâce cette besogne, dont ils chargeraient volontiers leurs maîtres ; en Californie, ils s’y refusent même absolument. Dans les rues, le prix de ce service est de quelques cents ; les enfans qui font ce métier peu fatigant, les blackboots, y gagnent un salaire raisonnable. Shine, shine ! faire luire ! tel est le cri qu’on entend de tous côtés, et l’alerte opérateur vous tend sa petite caisse où vous pouvez à peine poser le pied. Cette industrie nomade plaît aux enfans. Les frais de première installation n’en sont pas ruineux ; avec une couple de francs, on en voit, comme on dit, la fin.

Viennent ensuite les petits balayeurs, qui nettoient volontairement le pas des portes, les trottoirs, les larges dalles à la traversée des rues. Ils tiennent le balai d’une main, et vous tendent l’autre. En temps de pluie ou de neige, le métier est assez fructueux, car la municipalité de New-York, en ce qui regarde le bon entretien des rues, oublie étrangement ses devoirs. Les jours de beau temps, il faut abandonner le balai ; alors on fait de petites commissions, on porte un bagage, on prête son aide au premier venu, on garde les chevaux, on conduit un aveugle. Il est rare qu’on entre quelque part comme apprenti, on préfère étaler en plein air, sur un maigre éventaire, des allumettes, des fruits, des sucreries grossières, le candy traditionnel ; on ramasse les vieux chiffons, les os, les rebuts de toute sorte accumulés dans les immondices de la rue ; il est peu d’exemples qu’on mendie, même à la dérobée. D’autres, moins honnêtes, moins scrupuleux, volent des foulards, des bottes aux devantures des magasins, ou, le long des quais, du plomb, du cuivre, du bois, et vont vendre à des receleurs, qui les paient à peine, le produit d’un larcin toujours facile au milieu d’une aussi remuante cité.

Quand on interroge ces enfans, on découvre que la plupart sont privés de leurs parens, ou ont été abandonnés par eux. « Où vivent votre père et votre mère ? — Moi, monsieur, je n’en ai pas. — Où restez-vous ? — Nulle part. — Quel métier faites-vous ? — Aucun. » Telles sont presque invariablement les réponses que l’on reçoit, et cela était surtout vrai avant l’installation des logis fondés par la Société protectrice.