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bonnes âmes à les si bien traiter ? a Peut-être, hasarde l’un, est-ce un quaker bienveillant, quelque prêcheur des rues qui a imaginé ce moyen original de mériter le ciel. » Les plus sages ne cherchent pas à dissiper ce nuage ; mais leur joie éclate devant le bien-être inattendu qu’on leur a ménagé. Le lendemain, nouvel étonnement. Quoi ! tout ce qu’il faut pour la toilette, peignes, savon, serviettes, brosses, même de l’eau chaude, et, avant le départ, pour ceux qui le désirent, le déjeuner au prix du coucher, et l’on fait crédit à ceux qui n’ont pas de quoi payer ! Il y a quelque mystère là-dessous. — Il n’y avait aucun mystère, mais cette nuit mémorable assura le succès de l’établissement. Dès ce moment, la « loge de Fulton, » — c’est ainsi qu’on avait baptisé familièrement le lodging-house créé dans la rue de ce nom, — était fondée. Quelques jours après, les enfans, qui ne se faisaient plus prier pour venir, ne l’appelaient plus qu’Astor-house, par allusion à l’un des hôtels les plus réputés de. New-York. Dès ce moment aussi (1853), la Société protectrice pour les enfans des rues était définitivement instituée, et trois ans après elle était officiellement reconnue, incorporée, par un acte de la législature de l’état de New-York, relatif aux associations charitables.

Le premier pas seulement était franchi. Il fallait maintenant, avec la même diplomatie, établir une école et amener les enfans à la fréquenter. Le surveillant du logis de Fulton-street, M. Tracy, noble émule de M. Brace, les réunit un beau matin au moment où la bande joyeuse allait s’envoler par les rues : « Mes petits amis, leur dit-il, un gentleman est venu me trouver, qui a besoin d’un enfant pour son bureau ; il paiera trois dollars par semaine. — Laissez-moi y aller, monsieur, s’écrie l’un ; — non, moi, repart l’autre. — Mais il demande un enfant qui ait une belle écriture, ajoute le surveillant, et chacun de rester coi. — Eh bien ! voulez-vous que nous établissions une école du soir et que nous vous enseignions à écrire ; qu’en dites-vous, boys ? — Accepté, » répondirent-ils en chœur, et ainsi s’établit l’école du soir dans le même local que le lodging-house.

En si bonne voie, on ne pouvait plus s’arrêter. Les meetings du dimanche, qui d’abord n’avaient rencontré qu’insuccès, furent repris d’une façon discrète, et cette fois réussirent entièrement. On profita d’une occasion des plus favorables, l’enterrement d’un citoyen connu. Cette imposante cérémonie avait frappé l’esprit de ces enfans, on les en entretint le soir. Huit jours après, nouveau meeting. On y lut, on y commenta les passages les plus intéressans de l’Ancien et du Nouveau-Testament. Et, comme on avait joint la pratique du chant aux leçons du soir, tout cela fut assaisonné de